Mme Pioutte esquissa un geste qui signifiait : « Qu’est-ce que cela peut bien me faire ? » Mais Augulanty continua comme s’il ne s’était aperçu de rien :
— Une telle nouvelle nous a tous profondément affectés, et M. le directeur en est presque malade de tristesse. C’est le jeune Frédéric Blesle, le fils du négociant. Il n’a que dix-sept ans. N’est-ce pas affreux, à cet âge-là ? Ah ! je ne comprends rien à la jeunesse d’aujourd’hui. De telles choses sont inconcevables !
Mme Pioutte, impatientée, se frottait le bras, attendant toujours la suite.
— M. le directeur pense que c’est là le pire péché de la part d’un jeune homme. Et je suis de son avis. Cela montre un tel endurcissement, un tel mépris précoce des enseignements de notre sainte religion ! Il y a des erreurs que l’on s’explique, des égarements d’un instant que l’on excuse, la chair est faible, les tentations sont fortes. Mais avoir une maîtresse ! Commettre continuellement un péché mortel, ne jamais s’approcher des sacrements, renier la foi de sa famille, offenser Dieu avec insouciance et cynisme, quelle indignité, madame ! Certes, monsieur votre frère est indulgent et il a pardonné bien des fautes, mais tantôt, à la réunion, il nous disait : « Il ne peut pas y avoir de pardon possible pour un tel péché, si l’on s’y obstine. L’être capable de vivre ainsi, comme une bête, n’a plus qu’à descendre la pente du vice aussi bas que l’on peut le faire. Il est perdu. Il n’y a plus pour lui Dieu, morale, religion, famille, honneur, devoir ! C’est un homme à la mer ! »
Il était visible que ce discours mettait mal à l’aise Mme Pioutte. Augulanty, tout en examinant ses ongles, la regardait en dessous et s’en apercevait bien. Alors, sur le même ton, mais beaucoup plus bas, et en jetant autour de lui un coup d’œil circulaire, comme s’il avait peur d’être entendu par quelqu’un, il ajouta, comme on murmure un secret :
— Et votre fils, madame ?
Mme Pioutte eut un sursaut nerveux, comme quelqu’un qui se croit seul dans une chambre et qui entend tout à coup parler derrière lui. Le sang abandonna son visage