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très favorable aux affaires. Adroit et rusé, il devint assez vite négociant, et l’un des plus gros brasseurs d’entreprises de la place.

Pendant ce temps, Théodore Barbaroux modifiait toute sa situation. L’Université se montrant fort libérale en matière philosophique, le professeur fut mal noté pour son catholicisme intolérant et surtout pour les virulentes sorties qu’il se permettait en pleine classe contre ceux qui ne partageaient point ses convictions. On lui donna de discrets avis. Il n’en tint aucun compte. On lui adressa des reproches sévères. Il se fâcha alors, étant fort entier et cassant de caractère, et, donnant brusquement sa démission, quitta le lycée.

Les raisons de ce départ furent connues. Quelques familles bien pensantes tinrent à retirer également leurs enfants, par protestation contre l’enseignement voltairien. Barbaroux fonda une école libre. Un ancien clerc de M. Barbaroux, homme pratique et d’intelligence nette dans les choses de la vie courante, lui servit d’économe, et contribua au succès du nouveau pensionnat. Il eut l’idée de mettre le prix de la pension à cent francs par mois, ce qui attira un grand nombre d’enfants. On y prenait ainsi, dans la ville, par le seul fait d’y être élevé, comme un brevet de richesse, d’aristocratie et de bon esprit. Il n’y avait pas de classes primaires. M. Barbaroux n’avait pour adjoints qu’un professeur de langues étrangères, celui de mathématiques, et un surveillant. Il possédait un local étroit et mal placé qui lui coûtait peu. Il ne dépensait presque rien, sobre, économe et chaste comme il l’était. En vingt ans, il plaça plus de cent mille francs. Quand la guerre de 1870 éclata, il licencia son école et alla se battre, quoique déjà âgé, dans une compagnie de francs-tireurs. Il fut blessé, se réfugia en Suisse et revint à Marseille, après la signature de la paix. Alors il songea à réaliser le grand souhait de toute sa vie. Il partit pour Rome, y resta cinq ans et revint avec la soutane.

Il y avait longtemps que les Pioutte se passaient de lui. M. Pioutte gagnait énormément d’argent, il menait une vie luxueuse et dépensière qui effrayait un peu la