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Je rencontrai, le lendemain matin, le docteur de Grandsaigne. Il m’assura que madame de Pleurre ne passerait point la journée. J’allai chez elle de bonne heure. Au seuil, je joignis Francis de Myomandre. Il portait une botte de roses rouges, et sa canne à pommeau d’agate sous le bras, s’apprêtait à pousser la porte. Je lui rapportai les paroles de Madame de Pleurre, il hocha la tête et me répondit en souriant :

— Madame de Pleurre mourra en femme du monde pour nous apprendre qu’il y a, même dans les plus banales des circonstances, de la grandeur et de l’héroïsme.

On nous introduisit dans la chambre de notre amie. Madeleine avait encore changé depuis la veille, et s’efforçant de cacher sa déchéance, la dissimulant sous un masque de poudre et de fard, elle la révélait plus terriblement encore. Coiffée avec soin, vêtue d’une matinée de soie claire, ornée de point de Venise, elle allongeait sur les draps brodés du lit des mains effrayantes de maigreur, où brillaient toutes ses bagues. À travers les traits de son visage, on sentait l’ossature horrible du crâne humain, la grimace qui, sous les épidermes les plus satinés comme sous les peaux les plus rudes, essaye son rictus moqueur. Cette vue nous fit frissonner. La jeune femme souriait cependant. Elle s’exprimait avec une difficulté inouïe, et on la comprenait mal, tant sa voix rauque était voilée. Autour d’elle, tout disait l’ordre et l’élégante intimité d’un appartement féminin ; les meubles de laque blanche étaient riants et frais à l’œil ; devant un paravent japonais, qui isolait un angle de la