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LE RESTE EST SILENCE…

et dehors, la rue hostile, la rue, cette chose nue, visqueuse quand il pleut, aigre et sifflante quand il fait froid, la rue rude, pénible, pleine de dangers et d’embûches, la rue de la nuit, du brouillard, du vent, de la neige, du soleil, la rue des passants durs et des becs de gaz mélancoliques, qui s’éloignent, clignotent, deviennent de plus en plus petits dans l’obscurité qui s’affaisse… Oui, tout cela est autour de moi, les notes s’élèvent comme les perles d’un jet d’eau qui pleure vers la lune, je retrouve ma vie d’alors… Papa va rentrer, maman soufflera sur les bougies, elle dira : « … » Quoi, l’on s’arrête ? Qui a interrompu brusquement ce passé redevenu présent ? Le piano s’est tu. Il y a un bourdonnement de paroles. Quelqu’un rit. Je rouvre les yeux… Est-ce hier ? Est-ce aujourd’hui ?… Ah ! je l’ai quittée pour toujours, la bonne maison de l’enfance ! J’appartiens maintenant à la rue hostile et solitaire, où la vie tôt ou tard nous repousse, je suis un de ces durs passants qui m’épouvantaient autrefois, un de ces passants qui ignorent le pelotonnement