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LE RESTE EST SILENCE…

papa ? me demanda maman, qui pliait son ouvrage avec un sentiment de satisfaction qu’elle ne dissimulait pas.

J’acceptai volontiers cette proposition inattendue, qui me permettait de sortir. Cela comblait de joie mon père que nous allassions à son bureau. Il était très fier de nous montrer, élégants et fins comme nous étions, à ses frustes employés, et il y avait là je ne sais quel exhibitionnisme, qui déplaisait fort à ma mère.

Nous sortîmes donc par les rues trempées où se liquéfiaient des flaques de boue. Tout, trottoirs mouillés, chaussées fangeuses, plaques d’égout luisantes, rails resplendissants, reflétait la couleur chaude du ciel, si bien que l’on avait la sensation de marcher sur de l’or fondu. La fin du jour relâchant comme les mailles d’un filet, la ville se faisait plus grouillante. Le long des bars rouges, l’odeur de l’absinthe montait, mêlée au relent de vase, qui traînait dans l’humidité de l’air, et aux émanations de parfumerie que tant de femmes, attardées ou rapides, laissaient