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sur cette misérable qui touchait tout-à-coup au bonheur.

Une pauvresse, qui se réveillerait reine de Golconde, au milieu de ses trésors, c’était là le sort de la petite May. Elle n’avait certes jamais rêvé une destinée pareille, et pourtant l’orgueil, la surprise, ni la jouissance ne l’enivraient. Elle continuait dans l’abondance ce qu’elle avait commencé dans le dénuement, une songerie d’une inaltérable pureté, un rêve sans forme et sans arrêt, où elle s’ensevelissait vivante et dont sa nouvelle vie magnifique faisait le cadre inattendu et somptueux. Et, à mesure qu’il la connaissait mieux, lord Herbert ne s’approchait qu’avec plus de vénération encore de cette fille secrète et douloureuse en qui s’accomplissaient les grandes choses muettes de l’humanité.

Parfois, quand il faisait très beau, May entraînait son amant dans la forêt. Elle avait oublié qu’on l’avait attachée à un de ses arbres et déchirée jusqu’au sang, mais Herbert revoyait cette scène sauvage avec horreur. Elle courait dans les bruyères,