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LE RESTE EST SILENCE…

Et, ensuite, j’allai mornement accomplir les gestes habituels de la matinée, en attendant l’heure où papa irait au bureau. Il n’en finissait pas de se préparer, comme s’il attendait quelque chose, — mais est-ce que dans la vie, nous n’attendons pas tous quelque chose, ce je ne sais quoi pour lequel nous vivons, pour lequel nous jetons derrière nous, comme Deucalion des pierres, les jours après les jours, écorces vidées, pauvres dépouilles, en guettant sans trêve le jour riche, plein, fabuleux, où nous atteindrons enfin tout ce que nous aurons toujours espéré ?… Avant de partir, papa vint m’embrasser dans ma chambre. À ce moment, on sonna. Il devint pâle.

— C’est le laitier, dit-il, d’une voix mal assurée, comme si, en supposant un autre événement, il l’eût empêché de se réaliser, avec cette vague crainte superstitieuse que nous avons tous, et que nous donne cette vie âpre qui ne cherche méchamment qu’à nous décevoir.

Mais Élise vint nous dire mystérieusement :