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LE RESTE EST SILENCE…

tomba du côté où il n’y avait pas de suscription. Ma mère la retourna vivement, et, en regardant l’écriture, devint si pâle que je crus qu’elle allait s’évanouir. Elle laissa l’enveloppe à deux pas de son assiette, sans l’ouvrir, comme écrasée de honte et n’osant lever les yeux. Elle voulut se servir à boire, mais sa main tremblait tellement qu’elle eut toutes les peines du monde à y parvenir et qu’elle versa une partie de l’eau sur la nappe. En bas, un enfant s’était mis à pleurer ; il cessa. Il y eut un grand silence douloureux. Et moi, terrifié, j’écarquillais les yeux, regardant tour à tour mon père, ma mère et cette lettre bleue, ne comprenant pas comment la vue d’un simple papier pouvait à ce point troubler deux personnes que je croyais jusqu’ici raisonnables.

— Tu peux la lire, grommela mon père.

— Ce n’est pas la peine, murmura ma mère, dont la voix tremblait ; elle ne m’intéresse pas.

Et, tout-à-coup, mon père eut un regard terrible. Il frappa rudement la table de son