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LE RESTE EST SILENCE…

berge sans effort, et comme si le vent les poussait, l’air vaniteux, soupçonneux et méchant.

Maman se taisait et marchait plus vite. Nous contournâmes une allée. Des fleurs sans nombre, à demi plongées dans les prairies immenses, haussaient vers le ciel leurs coupes multicolores. Au long du canal, se clairsemait un petit bois de bouleaux, roulés, comme des momies, dans leurs bandelettes d’argent.

Brusquement, près d’un banc, ma mère s’arrêta. Un jeune homme, assis sur un des bancs, venait de se lever et s’inclinait, le chapeau à la main.

— Vous ici, cher monsieur ? Quel heureux hasard ! Comment allez-vous depuis si longtemps que je ne vous ai vu ?…

C’était une voix nouvelle qu’avait maman, une voix en même temps plus souple et plus forte, comme si elle exagérait tout ce qu’elle disait, afin d’en persuader mieux ceux qui l’écoutaient.

Le monsieur s’inclina de nouveau. Il devait être très jeune, mais, comme j’étais