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rentin exécuta en mon honneur un extraordinaire plongeon et se mit à rire angéliquement.

— Monsieur, me dit Valère Bouldouyr en me quittant, serait-il indiscret à moi de vous exprimer le désir de vous revoir ? Je ne suis qu’un vieux poète oublié de tous, mais vous m’avez montré tant de sympathie que vous excuserez, j’en suis sûr, mon indiscrétion.

— J’ai les mêmes souhaits à formuler, monsieur !

Il me serra de nouveau la main et nous prîmes rendez-vous. Mlle Chédigny m’adressa un sourire qui me fit frémir de tendresse émue, tant il était amical et presque intime, et Florentin Muzat plongea de nouveau jusqu’à terre, n’ayant pas encore compris, d’ailleurs, de quel fâcheux bain l’avait sauvé ma providentielle intervention.



VIII


Quelques jours après, je me rendis à l’invitation de M. Valère Bouldouyr. Quelle ne fut pas ma surprise, devant sa porte, de reconnaître qu’il habitait la maison où mon mystérieux voisin donnait d’invraisemblables fêtes ! La pensée, un moment, m’effleura que c’était lui, mais je ris de cette tournure d’esprit qui pousse toujours au roman mon imagination trop logique.

L’escalier de vieille pierre usée, large, doux au pas, se développait entre une muraille peinte en faux marbre et une rampe basse, dont la ferronnerie alerte étirait des entrelacs élégants comme une signature de poète. Mais, au troisième étage, il cessa pour faire place à un palier, sur lequel deux autres escaliers se greffaient, l’un à droite, l’autre à gauche, ceux-ci étroits, incommodes et tournants. Je ne savais où m’orienter, lorsque je m’avisai que l’un d’entre eux grimpait le long d’un mur tendu d’étoffe, ce qui me décida. Je reconnus au passage des lés de damas ancien, d’une belle couleur d’or, autrefois éclatants, maintenant ternis et tachés par places, mais encore magnifiques. On montait, je dus me l’avouer, dans une sorte de rayonnement, qui vous caressait et vous faisait oublier les marches hautes et non cirées, l’humilité mélancolique de l’endroit.

— Ce Bouldouyr, me disais-je, est encore plus fou que je ne croyais. Pourquoi diable accroche-t-il au dehors ces vieux lampas ?

Je m’arrêtai devant une petite porte à laquelle pendait une tresse de soie, terminée par un masque japonais.

Ce fut M. Bouldouyr lui-même qui m’introduisit chez lui. Un étroit corridor franchi, nous entrâmes dans une pièce qui faisait face à la mienne. Plus de doute, cette fois ! C’était bien ici qu’avaient lieu les réunions nocturnes ! Mon bonheur de connaître mon voisin, à cette découverte, devint une sorte de frénésie dont j’eus toutes les peines à cacher à mon hôte l’anormal excès. Lui-même, ignorant de mon caractère, put prendre pour les marques d’une nature exceptionnellement expansive les effusions que je lui prodiguai, — ou peut-être aussi pour le délire d’une admiration longtemps comprimée. Notre conversation se ressentit, bien entendu, de cette équivoque.

— Je suis ému, Monsieur Bouldouyr, plus ému que je ne saurais vous le dire d’entrer chez vous.

— Vous me comblez !

— Non, vous ne pouvez pas me comprendre ! Il y a des mois que j’attends ce moment, cette heure unique pour moi !…

— Ah ! mon ami, vous feriez rougir le vieil homme comme moi !

— Quel merveilleux endroit vous habitez !

— Vous voulez plaisanter… Le gîte bien humble du pauvre diable que je suis !