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L’ÉCOLE DES MARIAGES

Au bas des allées de Meilhan, les platanes aux guirlandes d’un roux cendré formaient, en se rejoignant, un berceau mollement creusé qui s’ouvrait sur un fond de ville et de port, noyé dans une brume laiteuse à laquelle le soleil déclinant mêlait son or diffus. Et à travers ce brouillard blanchâtre et ambré, les croix noires des navires se levaient confusément, au-dessus d’un flot changeant d’opale rose auquel elles donnaient ainsi un aspect inattendu de cimetière marin.


IV


Quinze jours après, au déclin d’une après-midi claire et froide de novembre, René causait avec Georges Sunhary dans l’appartement que son ami occupait place Saint-Victor. Assez riche pour ne souffrir d’aucun souci pratique, assez sage pour s’être libéré de toute ambition, ce jeune homme, au lieu de hanter dans une rue bourgeoise un local sans imprévu, habitait, en plein quartier populaire, une très vieille maison d’aspect bizarre, et dont les petites vitres verdâtres, divisées par de nombreux croisillons, regardaient, par-dessus un volumineux balcon à grosses colonnes, la mer mouvante, le Vieux-Port, et, en face, les tours noircies d’une antique basilique aux hautes murailles crénelées. À côté, un ouvrier napolitain, en chantant des complaintes italiennes, construisait des barques dont les vertèbres et le thorax s’arquaient au-dessus du sol.