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L’ÉCOLE DES MARIAGES

sordide, qui régissent la majorité des bourgeois provinciaux.

Et Mme Élodie Guitton, petite, trapue, avec sa forte poitrine rebondie et ses grosses épaules rondes, avec son ventre proéminent qu’elle poussait dignement devant elle, avec sa figure rusée et intelligente, la saillie de ses pommettes rouges, ses petits yeux malins, mobiles, foncés, sa bouche mince et son menton pointu, résumait à elle seule toute cette médiocrité éparse, mais en faisait un type, une incarnation vivante, implacable, consciente et dévorée de l’âpre désir de prendre par le monde une importance considérable et jusqu’ici inaccessible.

Et debout près de René, cette femme, en même temps familière et réservée, regardait, dans un avenir lointain, un être riche et naïf, coutumier à ses rêveries, venir à elle, en lui portant dans ses mains, ces mains qui maintenant tapotaient le bois du fauteuil, toute une moisson d’or, qu’elle estimait certes moins pour lui-même que pour l’Omnipotence et l’Autorité qu’il lui conférerait universellement.

— Allons, René, ne vous désolez pas ainsi ! Si vous n’épousez pas Edmée, eh bien, vous choisirez une autre jeune fille. Il n’en manque pas, dans la société, qui soient distinguées, bien élevées et…

Mais Delville interrompit violemment la phrase insidieuse de Mme Guitton :

— Jamais, madame, je n’épouserai une autre femme qu’Edmée ! Je n’ai jamais aimé qu’elle, une autre ne la remplacera jamais.

— Oh ! René, s’écria Mme Guitton, on dit que deux négations valent une affirmation. Que peuvent valoir trois jamais ? Mon pauvre ami, tous les jeunes