Page:Jaloux - L'école des mariages, 1906.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
EDMOND JALOUX

geste amical et pitoyable fut plus fort que toute l’énergie de Delville. La boule qui gênait sa respiration creva tout à coup, et les larmes lui sautèrent des yeux. Comment se fût-il dominé ? C’était là son premier chagrin. Il avait perdu sa mère à cinq ans, et son père dix mois après. Depuis, sa vie coulait, d’un cours doux et tranquille, sans heurts et sans orages ; aussi René n’avait-il pas l’habitude de trouver un obstacle à son désir, et cet obstacle le brisait.


III


— Tiens, c’est vous, René, je ne vous attendais pas aujourd’hui. Quel bon vent vous amène ? Vous vous êtes souvenu de mon jour ?

Mme Guitton, en achevant cette phrase de bienvenue, se rapprochait de Delville. Elle regarda mieux son visage, et ce visage l’étonna. Décomposé, verdâtre, les yeux rougis, les paupières couleur de tabac, il ne disait pas son chagrin : il le criait.

— Qu’avez-vous, René ? On dirait que vous êtes malade ?

— Si vous saviez ce qui m’arrive, madame !

— Ah ! mon Dieu ! Et quoi donc, René ? Dites vite. Vous m’effrayez.

René, affalé dans un fauteuil leva ses mains en signe de désolation et les agita frénétiquement au niveau de ses oreilles. La chaîne d’or, qui reliait la double médaille de ses boutons de manchettes, tinta contre la toile glacée. Sa vieille amie (au fait, était-