Page:Jaloux - L'école des mariages, 1906.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
L’ÉCOLE DES MARIAGES

aisément, avec un optimisme absolu, dans ces vœux d’avenir facile. Mais Edmée, plus nerveuse, s’irritait :

— Il ne faut jamais croire cela, répliqua-t-elle, à voix basse, il ne faut jamais dire qu’on va être heureux, ou qu’on l’est. Cela suffit pour que le malheur arrive. Il est toujours autour de nous à rôder, il n’aime pas qu’on ait l’air de faire fi de lui…

— Oh ! Edmée, comme vous êtes superstitieuse !

— Vous trouvez ? Mais cela n’a rien d’étonnant… On devient très superstitieux, René, quand on aime…

De nouveau, ils s’enlacèrent, mais cette fois, avec ivresse, et se baisèrent sur la bouche. Ce fut une caresse longue, déchirante, délicieuse, où il semblait que leur cœur se fendait, que leurs veines se vidaient, et ils agonisaient adorablement. Leurs lèvres s’écrasaient comme si elles désiraient se pénétrer plus encore, ne plus faire de leurs quatre formes gonflées qu’une seule chair unie, pleine, ardente et satisfaite.

Ils se séparèrent. Les premières ombres grimpaient aux arbres. Chaque feuille, comme une coquille vide, se chargeait d’une goutte de nuit, qui l’emplissait peu à peu, et quelque chose de funèbre augmentait à mesure que le jour reculait vers la mer.

— Il y a des heures, raconta Delville, où je m’imagine que j’ai rêvé votre présence, que vous n’existez nulle part, que je vous ai vue en songe et que… ce songe est fini. C’est quand je suis seul chez moi, et alors, on me dirait que je ne vous retrouverai jamais sur la terre que cela ne m’étonnerait pas outre mesure… Et puis, quand je vous vois, il me semble que je ne vous ai jamais quittée, que toutes les minutes que j’ai passées loin de vous ont