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EDMOND JALOUX

Edmée fit un signe imperceptible à Delville, qui se glissa lestement derrière elle. Ils s’éloignèrent vers le fond du jardin. Vaste et carré, il se terminait par un bosquet de cyprès et de pins qu’entourait une couronne de platanes. Des touffes de chrysanthèmes multicolores montraient des calices échevelés et bizarres, qui suivaient tous les tons du jaune et du rouge, depuis l’or clair jusqu’à l’ocre sombre et du rose étiolé au grenat presque noir. On eût dit que c’était la palette où l’automne avait essayé et mêlé ses nuances avant d’en peindre les feuilles, les fruits d’octobre et les colorations fugitives du soir.

— J’ai cru que nous ne pourrions jamais être seuls, aujourd’hui ! s’écria Edmée. Pourtant j’avais tant de choses à vous dire !

— J’attendais que vous me fassiez signe, répondit-il. Je me rongeais d’impatience… Et puis… comme ils m’ennuyaient, tous ces êtres qui nous séparaient ! J’aurais voulu les chasser, les jeter dehors… allez, ouste, cédez-nous la place ! Ah ! Edmée, quelle guigne de ne pouvoir rester seul avec vous !

Elle hocha mélancoliquement sa tête charmante.

Il y avait au fond du bosquet un banc de bois vermoulu sur lequel ils s’assirent. René prit entre ses paumes les mains d’Edmée ; elles étaient extraordinairement longues et blanches, nerveuses et fines, vivantes même dans l’accablement de leur repos. Et il semblait à Delville que les voluptés les plus ardentes de la terre ne seraient jamais aussi douces que l’abandon consenti de ces doigts minces.

— Je suis très ennuyée, raconta Edmée. Papa