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bien des égards, la tradition antique, ne faut-il pas, pour avoir des notions sérieuses et complètes sur l'histoire de l'art, suivre cette tradition à travers les dédales obscurs des époques intermédiaires ?

Jusqu'à Girolamo Zanetti [3] et à Àntonio Capmany [4], on avait tout à fait négligé cette curieuse poursuite, parce que, semblables à toutes les époques qui se vantent trop du progrès, la Renaissance et le siècle qui la suivit se crurent autorisés à regarder, de l'œil du mépris, une marine que leur superbe ignorance réputait faible et inhabile. Le savant Vénitien et le docte Catalan, mus par un noble sentiment de patriotisme, firent, pour la gloire de Venise et de Barcelone, si longtemps puissantes par la guerre et le commerce, des travaux d'une critique solide, mais renfermés, par malheur, dans un cadre trop étroit.

Nous avons pensé qu'une voie plus large pouvait être ouverte, ou du moins pouvait être tentée sur ce terrain, encore à peu près vierge, du Moyen âge. Nous avons voulu savoir si la marine contemporaine des croisades; si la marine qui, du fond de l'Adriatique, allait se répandant sur les bords de la mer Noire et sur les rivages de l'Egypte; celle qui, de la mer Ligurienne, s'élançait vers la Flandre; celle enfin qui fit riches, grandes et redoutables Amalfi, Pisé, Naples, Gênes, Venise, Marseille, Barcelone et Constantinople, étaient aussi méprisables qu'on se l'imaginait : nous avons voulu savoir si l'on allait de l'Europe en terre sainte, si l'on passait de la Méditerranée dans l'Océan, seulement avec de chétives barques; et si les hommes montant ces légères caravelles qui exploraient la côte de Guinée, doublaient le cap des Tempêtes, poussaient jusque dans les Indes orientales leurs proues hardies, et poursuivaient à l'ouest le fantôme réalisé d'une terre inconnue, étaient de pauvres caboteurs, marins hasardeux, mais ignorants.

Six des mémoires composant notre Archéologie navale, publiée à la fin de 1839, furent les premiers fruits de nos explorations dans ce monde où nous allions à la découverte, remontant un fleuve inconnu, et guidé par le présent, notre seule boussole.

Ce fleuve, c'est la langue des navigateurs européens.

Tout d'abord nous reconnûmes qu'il est sinueux, vaste, et formé de deux affluents principaux, grossis par quelques petits cours venus de points divers. Nous sentîmes que nous aurions de la peine à pénétrer jusqu'à ses sources, au milieu des obstacles de tous genres qui entravent la navigation sur ses méandres capricieux. Mais, seule, cette voie pouvait nous conduire au but attrayant que nous entrevoyions dans le lointain par la pensée; et rien ne put nous faire renoncer à ce pénible voyage.

On comprendra que nous n'avions pas d'autre route à suivre. Quel obstacle a dû arrêter les érudits qui ont pu concevoir le même projet que nous? N'est-il pas évident qu'ils ont reculé devant les difficultés de la langue maritime, qui a toujours passé pour un argot barbare? Les termes qu'ils n'ont pas entendus leur ont rendu inintelligibles les documents anciens; ces documents, ils les ont alors délaissés, et l'histoire de la marine leur est restée fermée. Nous espérons que