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ISOLINE.
RONDEAU DES JEUX.
I
–––––––À l’heure où la nuit profonde
–––––––Endort les simples mortels,
–––––––Le jeu chez nous fait sa ronde ;
–––––––Nous lui dressons des autels !…
–––––––Autour d’une table immense
–––––––Nous voilà tous, l’œil ouvert,
–––––––Et le lansquenet commence
–––––––Les émois du tapis vert.
––––––Vingt francs !… Je tiens !… Va ! nous y sommes !
––––––Mon tout !… Banco !… Oui, l’or a relui !…
––––––Fi des amours, mes gentilshommes !
––––––Nos yeux, nos cœurs ici sont tout à lui !
–––––––Bientôt, la foule imposante,
–––––––De tous côtés du bazar,
–––––––Dans une anxiété croissante,
–––––––Sacrifie au dieu Hasard !
–––––––Là, la bouillotte ramasse
–––––––Ses enjeux, faibles ou grands.
–––––––C’est à vous ! — Je vois ! — Je passe !
–––––––––– Je fais mille francs !
–––––––Les voyez-vous ! la face pâle,
–––––––Les yeux fixes, le cou tendu !…
–––––––Un cri rauque, un cri comme un râle,
–––––––S’échappe enfin : Ils ont perdu !…
REFRAIN
––––––Ah ! c’est charmant ! c’est amusant !
––––––C’est délirant ! éblouissant !…
––––––––––––Ah ! ah !
Bis.
–––––––Mais rien ne vaut, à mes yeux,
–––––––Un petit bésigue à deux !
–––––––Oh ! non, rien ne vaut à mes yeux,
–––––––Un tout petit bésigue à deux.
II
–––––––Là l’écarté qui s’anime,
–––––––Allèche ses spectateurs,
–––––––Et le plus pusillanime
–––––––Est bientôt dans les parieurs !
–––––––Par ici c’est la roulette :
–––––––Quel bruit étrange et confus !
–––––––Ceux-ci froissent leur toilette ;
–––––––Ceux-là raflent leurs écus.
–––––––Là, chacun, comme à la foire,
–––––––Se pousse des mains, des pieds.
–––––––À moi la rouge ! — À moi la noire !
–––––––Et tout l’or vole aux croupiers.
REFRAIN.
––––––Ah ! c’est charmant, etc., etc,
III
–––––––Là, deux vieilles chrysalides,
–––––––Jadis galants papillons,
–––––––Au piquet, jeu d’invalides,
–––––––Cherchent des émotions.
–––––––Là, plus loin, quatre momies
–––––––Font le whist sans sourciller :
–––––––Autant d’ombres endormies
–––––––Jusqu’au jugement dernier.
–––––––La nuit devient plus épaisse
–––––––Par le punch et le tabac ;
–––––––C’est l’heure où la lampe baisse,
–––––––Taillons vite un léger bac.
–––––––Place au jeu ! Qui fait la banque ?—
–––––––Moi ! Cent francs ! deux cents ! vingt louis !
––––––––Enjeux fous, inouïs,
–––––––––––Rien n’y manque !
–––––––Bref, pendant qu’ils font feu et flammes,
–––––––On arrive au chemin de fer,
–––––––Pas à celui du Nord, mesdames ;
–––––––Mais au grand jeu, ce jeu d’enfer !
–––––––— Qui veut de moi, corps et âme ?
–––––––— De mon oncle l’armateur ?
–––––––— Moi, je veux jouer ma femme !
–––––––— Et moi, messieurs, je mets mon cœur !
–––––––Bravo ! le blond ! très-bien ! la brune !
–––––––Perds ton bonnet, perds ta fraîcheur !
–––––––Perds ta raison, perds ta fortune ;
–––––––Tout est perdu ! même l’honneur !
REFRAIN.
––––––Ah ! c’est charmant ! c’est délirant !
––––––Mais rien ne vaut, à mes yeux,
––––––Un petit bézigue à deux !
TOUS.

Vive le jeu !

GENEVIÈVE.

Silence ! on vient !… c’est Golo.

ISOLINE.

Qu’il ne nous voie pas ou tout serait perdu ! (Reprise du refrain des jeux, à voix basse ; ils rentrent tous derrière le rocher, qui se referme.)

ARTHUR.

J’ai bobo !…

ISOLINE, le poussant.

Va-t-en donc, et pas un mot. (Ils sortent par la droite.)

GENEVIÈVE.

Oh ! cachons-lui bien mon émotion ! feignons de dormir. (Elle s’étend sur sa natte.)


Scène VI.

GENEVIÈVE, GOLO, ALMANZOR.
GOLO, il entre avec une mandoline en sautoir et la contemple.

Elle est encore plus belle quand elle dort ! Oh ! il manquait à tous mes forfaits ce nouveau crime, d’aimer la femme de mon Seigneur ! Almanzor, n’est-ce pas, que si tu pouvais parler, tu me dirais que je suis un grand coquin ! Eh bien ! que veux-tu ? je l’aime, cette femme, je l’aime ! Veille au grain ! (Éveillant Geneviève) Holà ! debout, la belle !

GENEVIÈVE.

Hein ! qui m’appelle ?

GOLO.

Moi, ton maître ! non ton esclave.

GENEVIÈVE.

Que dites vous ?