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SIFROID.

Oui, grand prince ! à l’instant ! je passe un cuissard pour vous faire honneur !… mon poëte. (Appelant.) Holà ! le corps des Savants ! mon armée ! Tas de feignants !… mais réveillez-vous donc !… Ah ! mon cor… le cor de détresse !… (Il embouche un cor dont il tire des sons discordants tout en se pendant aux sonnettes. Entre toute la cour, en caleçons et en jupons, chacun portant sa lumière.)


Scène II.

SIFROID, TOUTE LA COUR.
TOUS.

Qu’y a-t il ? qu’est-il arrivé ?

SIFROID.

Ce qu’il y a ?… ils le demandent, mais Charles Martel… qui est en bas… lui-même !…sur la tête duquel… j’ai flanqué un pot d’eau !

TOUS.

Grand Dieu !… Charles Martel !

SIFROID.

Vite, qu’on s’habille ! Revêtissez vos armures…. Allons ! chaud, chaud ! le voilà !… (Charles Martel arrive, tout le monde s’incline.)

BOLERO.
CHARLES MARTEL.
I
––––––J’arrive armé de pied en cap,
––––––––On dit qu’les infidèles
––––––Ont franchi les Alpes par Gap
––––––––Et pris trois citadelles ;
––––––Qu’en traversant la Suisse en long,
––––––––Dans leur itinérair,
––––––Pour être invulnérabl’s… ils ont
––––––––Bu tout le vulnéraire.
––––––––Ah ! que je les plains,
––––––––Ces pauvres Sarrasins !
II
––––––Cette armure, dont la bonté
––––––––Garantit mes épaules,
––––––César la mit… au Mont-d’Piété
––––––––Quand il quitta les Gaules ;
––––––Ces gantelets ornèr’nt les mains
––––––––D’un guerrier de Carthage,
––––––Au temps où craignant les Romains,
––––––––On s’couvrit davantage.
––––––––Ah ! que je les plains, etc.
III
––––––Ces, dans ce casque en cuir épais
––––––––Que le vieux Bélisaire
––––––Reçût l’aumône des Français,
––––––––À Grenoble, en misère.
––––––C’est avec ce fer que je tiens,
––––––––Que le grand Alexandre
––––––En deux coupa les neuf gardiens
––––––––Qui gardaient Lille en Flandre.
––––––––Ah ! que je les plains, etc.
IV
––––––Dans la plaine de Saint-Denis,
––––––––Dans cette vaste enceinte,
––––––À mes soldats, tous réunis,
––––––––Demain j’offre l’absinthe.
––––––Après, je disperse les rangs
––––––––Des hordes ennemies,
––––––À la tête de vingt mill’ Francs,
––––––––Fruit d’mes économies,
––––––––Ah ! que je les plains,
––––––––Ces pauvres Sarrasins !
CH. MARTEL.

Sang et torture : Mille diables ! Tonnerre et foudre ! Sac à papier ! Quel est le polisson qui m’a versé un pot sur la tête ?

TOUS.

Seigneur !

CH. MARTEL.

Qu’il se nomme, ou je mets le feu aux quatre coins du Brabant !

SIFROID.

Seigneur ! le polisson, c’est moi ! (Il tombe à ses genoux.)

CH. MARTEL.

Toi ? (Il tire son sabre.)

SIFROID.

Arrêtez, prince, c’était de l’eau filtrée.

CH. MARTEL, rengainant.

Cette excuse te sauve… d’autant plus que je ne suis pas venu pour ça. — Vassaux et serviteurs ! valets, drôles, gens de corvée et autres canailles ! Enfin, tas de vilains qui m’écoutez… oyez mes paroles, et qu’elles restent gravées dans vos cœurs ! Pour servir des projets qu’il est inutile que vous connaissiez, apprenez que je vous ai tous choisis… pour périr avec moi. (Consternation générale.) C’est à une mort plus que certaine, à une mort pleine de tortures et de douleurs ! Enfin, je vous fais filer tous en Palestine.

TOUS.

En Palestine ?

CHARLES MARTEL.

Avez-vous assez de chance ? et nous partons à l’instant !

SIFROID.

Pardon, grand prince, nous sommes à peine vêtus et pour aller en Palestine.

CHARLES MARTEL.

C’est suffisant pour le climat !… aurais-tu peur ?

SIFROID.

Peur ? moi !… Sifroid… dans les combats !… (Chantant.)

––––––––Ah ! que je les plains,
––––––––Ces pauvres Sarrazins…

Ah ! prince ! moi, mes vingt-sept hommes