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Derrière moi, bien loin, gronde encor le canon :
Ce sont les ennemis poursuivant Mac-Mahon.

Maintenant que j’en suis à conter mon histoire,
J’ai ce triste tableau présent à la mémoire ;
J’en revois les détails un par un ; mais, morbleu !
Lorsque j’étais là-bas je m’en occupais peu.
J’étais anéanti : mon cheval, pauvre bête !
Frappé mortellement d’une balle à la tête,
Sur mon genou brisé pesait de tout son poids.
Je n’avais plus d’espoir : sans mouvement, sans voix,
— Car le sang s’échappait de ma gorge entr’ouverte, —
Je compris que j’étais à deux doigts de ma perte.
Que n’aurais-je donné pour une goutte d’eau !
Le combat, voyez-vous, c’est grand, c’est fier, c’est beau !
Quand on est en plein jour, au sein d’une bataille,
On se rit du canon, on nargue la mitraille,
On voit la mort en face et l’on n’en a pas peur ;
Mais être là, sanglant, affolé de douleur,
Sans pouvoir bouger, seul, au milieu des ténèbres ;
Sentir un froid aigu vous mordre les vertèbres,