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Et l’ennemi vainqueur, et la guerre, et l’effort
Du pays expirant, et le deuil, et la mort.
J’en étais revenu, porté par ma pensée,
Aux tranquilles moments d’une époque passée,
Moments sans prix jadis, tant pleurés aujourd’hui
Tout-à-coup sur ma droite un vif éclair a lui.
Trois secondes après, retentissant, sauvage,
Le son arrive à moi ; puis, traçant son sillage
Avec un bruit semblable au râle prolongé
Du fer rouge dans l’eau subitement plongé,
L’obus part, tombe, éclate, et puis rien. — Le silence
De nouveau sur les champs plane lugubre, immense ;
Rien n’a changé ; la lune au profil chagriné
Semble toujours glisser dans le ciel moutonné,
Argentant par moments les murs des maisons blanches ;
Le vent en murmurant vient caresser les branches ;
Et peut-être à l’instant, frappés dans leur sommeil,
Quelques hommes demain n’auront pas de réveil !
Ce sont des ennemis : soit ! mais ce sont des hommes.
Quand donc finirons-nous, pauvres fous que nous sommes,
De nous frapper sans cesse, et de chercher toujours