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YOU
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Youf, pour la retenir sous ton pouvoir diabolique ? Père de tous les astres, si saint et si pur, mets, ô grand Dieu, Marie-Anne Youf dans les renforts, afin que ses ennemis ne peuvent jamais l’atteindre, Agla, Ada, Manisite, Jofi et Jofil ; couvre Marie-Anne Youf de tes boucliers.

» Gresus, que le mal qu’on veut faire à Marie-Anne Youf retombe sur celui ou celle qui ont des intentions perMes et illicites. Je me dévoue à jamais au désir de faire le bien. Secourez, Seigneur, la plus honnête et la plus soumise de vos servantes. Tabat tabac tabat Sabaoth ! que ses ennemis soient confondus et renversés pour l’éternité par la vertu du grand Jéova ; je te conjure de quitter le corps de Marie-Anne Youf au nom d’Abra et d’Anayaa et d’Adoni.

» Alla machrome arpayon alamare, bourgosi serabani veniat a lagarote. »

On joignit à cela des sangsues et d’excellents déjeuners, suivis de dîners semblables. Les témoins ont dit que Marie Ledezert était traitée comme une princesse, et encore qu’elle n’était pas contente ; mais le mal était, plus opiniâtre que le remède, et comme la bourse baissait et que la guérison n’avançait pas, la confiance diminua et finit par s’éteindre non pas tout à fait dans le sorcier, mais dans son émissaire. Marie Ledezert n’ayant pas eu l’esprit de se taire, des reproches en étant venue aux injures, le procureur du roi, qui paraît ne pas aimer les sorciers, finit par provoquer une instruction ; et une citation en police correctionnelle amena Marie Ledezert à se justifier d’une accusation d’escroquerie. La prévention a été soutenue avec force par M. Lecampion, substitut. Le tribunal, reconnaissant sans doute la nécessité de combattre par une condamnation exemplaire le préjugé qui fait croire aux sorciers, a prononcé six mois d’emprisonnement.

Mais il faut remarquer bien haut que les sorciers vont, comme les vampires, avec les philosophes ; et que les misérables qui consultent les sorciers ne fréquentent pas les sacrements et ne vont guère à la messe.

Youma. Dans le gouvernement de Cazan, les Tchérémisses adorent un Dieu suprême, auquel ils donnent le nom de Youma et qu’ils supposent présent partout. C’est ainsi probablement que tous les peuples d’origine finnoise appelaient jadis le Dieu le plus puissant de leur Olympe ; du moins voit-on que les Finnois des rives de la mer Baltique invoquent encore aujourd’hui le Dieu des chrétiens sous le nom de Youmala emprunté à leur ancien culte. Le pouvoir du Youma des Tchérémisses n’est pas illimité, il le partage avec son épouse, Youman-Ava, et avec une foule d’autres divinités, enfants de ce couple, qui n’ont ni les mêmes noms ni les mêmes attributs dans toutes les communes. Différant sous ce rapport de presque tous les autres païens, les Tchérémisses n’ont point d’images, ni de leurs dieux, ni du génie du mal qui, d’après leur mythologie, habite au fond des eaux, et qui est puissant et dangereux surtout à midi, au moment où le soleil est à son apogée. Du reste, ce peuple, bien que fort attaché à sa religion, n’a cependant que très-rarement recours à ses dieux, et à l’exception des grandes fêtes célébrées de temps en temps, quelquefois après plusieurs années d’intervalle, ce n’est guère que dans les cas d’une grande calamité qu’on songe à apaiser leur courroux, ou à se les rendre propices.

Dans ces cas, lorsqu’une épidémie qui ravage le pays, ou une sécheresse prolongée qui menace de détruire les moissons, réveille en eux la crainte de leurs dieux, plusieurs familles, quelquefois tous les habitants d’un village, se réunissent pour préparer un sacrifice. Tout homme qui veut prendre part à la prière est obligé de présenter quelque victime, quelque offrande propre, d’après leurs idées, à être présentée aux dieux ; que ce soit un poulain, une vache, un mouton, un canard, une poule, ou bien une certaine mesure de miel ou de bière ; même quelques gâteaux sont jugés nécessaires. Tout étant ainsi préparé, on se rend au bois sacré, au pied de quelque vieux chêne, autour duquel on a eu soin d’égaliser le terrain en le débarrassant des broussailles et des pierres qui pouvaient s’y trouver jusqu’à une distance assez considérable. Un vieillard, auquel on donne le titre de youmlane, est chargé des rites ; chacun de ceux qui y assistent apporte un bâton fait d’une branche de noisetier, au bout duquel il a attaché un cierge. Au moment où la cérémonie commence, on fixe ces bâtons dans la terre de manière à former un cercle autour du chêne ; en même temps, le youmlane orne le tronc de l’arbre sacré de rubans d’écorce de tilleul ; il suspend à une de ses branches un petit morceau d’étain muni à cet effet d’une anse ; quatre petites branches de sapin et deux de tilleul réunies en faisceau et auxquelles le youmlane a fait un nombre d’entailles égal à celui des personnes qui ont contribué au sacrifice, sont également attachées à l’arbre sacré. Au. moment où le youmlane immole une des victimes, on éteint les cierges pour les allumer de nouveau lorsque l’animal frappé par lui a expiré, pendant que le prêtre frotte du sang du poulain ou de la vache qu’il vient de tuer les rubans d’écorce dont il a décoré le chêne. Ensuite, on fait bouillir la chair des victimes immolées dans des chaudières suspendues à des espèces de chevalets autour de l’arbre ; les cierges, éteints pendant ce temps, sont derechef allumés lorsque le festin commence ; on jette dans un grand feu allumé à cet effet au pied du chêne le premier morceau tiré de chaque chaudière, ainsi que les os ; le reste est partagé entre les convives, et chaque fois qu’on rallume les cierges, le youmlane prononce des prières,