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vous, ou vous êtes à la fin de vos jours. » El ce advint un jour de marché, devant plus de dix mille personnes, et, après ces paroles, la dite figure s’en alla en une nue, comme se-retirant droit au ciel. Une heure après, le temps s’obscurcit tellement, qu’à vingt lieues autour de la ville on ne voyait plus ni ciel ni terre. Il y eut beaucoup de personnes qui moururent ; le pauvre monde se mit à prier Dieu et à faire des processions. Enfin, au bout de trois jours, vint un beau temps comme auparavant, et un vent le plus cruel que l’on ne saurait voir, qui dura environ une heure et demie, et une telle abondance d’eau, qu’il semblait qu’on la jetait à pipes, avec un merveilleux tremblement de terre, tellement que la ville fondit, comprenant quatorze lieues de long et six de large, et n’est demeuré qu’un château, un clocher et trois maisons tout au milieu. On les voit en un rondeau de terre assises comme par devant ; on voit quelques portions des murs de la ville, et dans le clocher et le château, du côté d’un village appelé des Guetz, on voit comme des enseignes et étendards qui pavolent ; et n’y saurait-on aller. Pareillement on, ne sait ce que cela signifie, et n’y a homme qui regarde cela à qui les cheveux ne dressent sur la tête ; car c’est une chose merveilleuse et épouvantable. »

Dissertation sur les visions et les apparitions, où l’on prouve que les morts peuvent revenir, avec quelques règles pour connaître si ce sont des âmes heureuses ou malheureuses, par un professeur en théologie. Lyon, 1675.

Sans être très-crédule, l’auteur de ce petit ouvrage admet les apparitions et reconnaît que les unes viennent du démon, les autres de Dieu. Mais il en attribue beaucoup à l’imagination. Il raconte l’histoire d’un malade qui vit longtemps dans sa chambre un spectre habillé en ermite avec une longue barbe, deux cornes sur la tête et une figure horrible. Cette vision, qui épouvantait le malade sans qu’on pût le rassurer, n’était, dit le professeur, que l’effet du cerveau dérangé. Voyez Hallucinations.

Il croit que les morts peuvent revenir, à cause de l’apparition de Samuel ; et il dit que les âmes dit purgatoire ont une figure intéressante et se contentent en se montrant de gémir et de prier, tandis que les mauvais esprits laissent toujours entrevoir quelque supercherie et quelque malice. Voy. Apparitions.

Terminons les visions par le fait suivant, qu’on lit dans divers recueils d’anecdotes.

Un capitaine anglais, ruiné par des folies de jeunesse, n’avait plus d’autre asile que la maison d’un ancien ami. Celui-ci, obligé d’aller passer quelques mois à la campagne, et ne pouvant y conduire le capitaine, parce qu’il était malade, le confia aux soins d’une vieille domestique, qu’il chargeait de la garde de sa maison quand il s’absentait. La bonne femme vint un matin voir de très-bonne heure son malade, parce qu’elle avait rêvé qu’il était mort dans la nuit ; rassurée en le trouvant dans le même état que la veille, elle le quitta pour aller soigner ses affaires et oublia de fermer la porte après elle.

Les ramoneurs, à Londres, ont coutume de se glisser dans les maisons qui-ne sont point habitées, pour s’emparer de la suie, dont ils font un petit commerce. Deux d’entre eux avaient su l’absence du maître de la maison ; ils épiaient le moment de s’introduire chez lui. Ils virent sortir la vieille, entrèrent dès qu’elle fut éloignée, trouvèrent la chambre du capitaine ouverte, et, sans prendre garde à lui, grimpèrent tous les deux dans la cheminée. Le capitaine était en ce moment assis sur son séant. Le jour était sombre ; la vue de deux créatures aussi noires lui causa une frayeur inexprimable ; il retomba dans ses draps, n’osant faire aucun mouvement. Le docteur arriva un instant après ; il entra avec sa gravité ordinaire et appela le capitaine en s’approchant du lit. Le malade reconnut la voix, souleva ses couvertures et regarda d’un œil égaré, sans avoir la force de parler. Le docteur lui prit la main et lui demanda comment il se trouvait. — Mal, répondit-il ; je suis perdu : les diables se préparent à m’emporter, ils sont dans ma cheminée… Le docteur, qui était un esprit fort, secoua la tête, tâta le pouls et dit gravement : — Vos idées sont coagulées ; vous avez un lucidum caput, capitaine… — Cessez votre galimatias, docteur : il n’est plus temps de plaisanter, il y a deux diables ici… — Vos idées sont incohérentes ; je vais vous le démontrer. Le diable n’est pas ici : votre effroi est donc…

Dans ce moment, les ramoneurs, ayant rempli leur sac, le laissèrent tomber au bas de la cheminée et le suivirent bientôt. Leur apparition rendit le docteur muet ; le capitaine se renfonça dans sa couverture, et, se coulant aux pieds de son lit, se glissa dessous sans bruit, priant les diables de se contenter d’emporter son ami. Le docteur, immobile d’effroi, cherchait à se ressouvenir des prières qu’il avait apprises dans sa jeunesse. Se tournant vers son ami pour lui demander son aide, il fut épouvanté de ne plus le voir dans son lit. Il aperçut dans ce moment un des ramoneurs qui se chargeait du sac de suie ; il ne douta pas que le capitaine ne fût dans le sac. Tremblant de remplir l’autre, il ne fit qu’un saut jusqu’à la porte de la chambre, et de là au bas de l’escalier. Arrivé dans la rue, il se mit à crier de toutes ses forces : — Au secours ! le diable emporte mon ami ! La populace accourt à ses cris ; il montre du doigt la maison, on se précipite en foule vers la porte, mais personne ne veut entrer le premier… Le docteur, un peu rassuré par le nombre, excite tout le monde. Les ramoneurs, en entendant le bruit qu’on faisait dans la rue, posent leur sac dans l’escalier, et,