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qu’il n’épargna que la maison du consul chez qui nous logions. Mais tout le monde avait l’imagination renversée ; c’était une vraie maladie, de cerveau, aussi dangereuse que la manie et la rage. On voyait des familles entières abandonner leurs maisons, portant leurs grabats à la place, pour y passer la nuit. Les plus sensés se retiraient à la campagne. Les citoyens un peu zélés pour le bien public assuraient qu’on avait manqué au point le plus essentiel de la cérémonie. Il ne fallait, disaient-ils, célébrer la messe qu’après avoir ôté le cœur du défunt. Ils prétendaient qu’avec cette précaution on n’aurait pas manqué de surprendre le diable, et sans doute il n’aurait pas eu l’audace d’y revenir ; au lieu qu’ayant commencé par la messe, il avait eu le temps de rentrer, après s’être d’abord enfui. On fit cependant des processions dans toute la ville pendant trois jours et trois nuits ; on obligea les papas de jeûner ; on se détermina à faire le guet pendant la nuit, et on arrêta quelques vagabonds qui assurément avaient part à tout ce désordre. Mais on les relâcha trop tôt, et deux jours après, pour se dédommager du jeûne qu’ils avaient fait en prison, ils recommencèrent à vider les cruches de vin de ceux qui avaient quitté leur maison la nuit. On fut donc obligé de recourir de nouveau aux prières.

» Un matin que l’on récitait certaines oraisons, après avoir planté quantité d’épées nues sur la fosse du cadavre, que l’on déterrait trois ou quatre fois par jour, suivant le caprice du premier venu, un Albanais qui se trouvait à Mycone s’avisa de dire, d’un ton de docteur, qu’il était ridicule de se servir, en pareil cas, des épées des chrétiens. Ne voyez-vous pas, pauvres gens, ajouta-t-il, que la garde de ces épées, faisant une croix avec la poignée, empêche le diable de sortir de ce corps ? Que ne vous servez-vous plutôt des sabres des Turcs ? L’avis ne servit de rien ; le broucolaque ne fut pas plus traitable, et on ne savait plus à quel saint se vouer, lorsqu’on résolut, d’une voix unanime, de brûler le corps, tout entier : après cela ils défiaient bien le diable de s’y nicher. On prépara donc un bûcher avec du goudron, à l’extrémité de l’île de Saint-Georges, et les débris du corps furent consumés le 1er janvier 1701. Dès lors on n’entendit plus parler du broucolaque. On se contenta de dire que le diable avait été bien attrapé cette fois-là, et l’on fit des chansons pour le tourner en ridicule.

» Dans tout l’Archipel, dit encore Tournefort, on est bien persuadé qu’il n’y a que les Grecs du rite grec dont le diable ranime les cadavres. Les habitants de l’île de Santonine appréhendent fort ces sortes de spectres. Ceux de Mycone, après que leurs visions furent dissipées, craignaient également les poursuites des Turcs et celles de l’évêque de Tine. Aucun prêtre, ne voulut se trouver à Saint-Georges quand on brûla le corps, de peur que l’évêque n’exigeât une somme d’argent pour avoir fait déterrer et brûler le mort sans sa permission. Pour les Turcs, il est certain qu’à la première visite ils ne manquèrent pas de faire payer à la communauté de Mycone le sang de ce pauvre revenant, qui fut, en toute manière, l’abomination et l’horreur de son pays. »

On a publié, en 1773, un petit ouvrage intitulé[1] Pensées philosophiques et chrétiennes sur les vampires, par Jean-Christophe Herenberg. L’auteur parle, en passant, d’un spectre qui lui apparut à lui-même en plein midi : il soutient en même temps que les vampires ne font pas mourir les vivants, et que tout ce qu’on en débite ne doit être attribué qu’au trouble de l’imagination des malades. Il prouve par diverses expériences que l’imagination est capable de causer, de très-grands dérangements dans le corps et dans les humeurs. Il rappelle qu’en Esclavonie on empalait les meurtriers, et qu’on y perçait le cœur du coupable avec un pieu qu’on lui enfonçait dans la poitrine. Si l’on a employé le même châtiment contre les vampires, c’est parce qu’on les suppose auteurs de la mort de ceux dont on dit qu’ils sucent le sang.

Christophe Herenberg donne quelques exemples de ce supplice exercé contre les vampires, l’un dès l’an 1337, un autre en l’année 1347, etc. ; il parle de l’opinion de ceux qui croient que les morts mâchent dans leurs tombeaux, opinion dont il tâche de prouver l’antiquité par des citations de Tertullien, au commencement de son livre de la Résurrection, et de saint Augustin, livre VIII de la Cité de Dieu.

Quant à ces cadavres qu’on a trouvés, dit-on, pleins d’un sang fluide, et dont la barbe, les cheveux et les ongles se sont renouvelés, avec beaucoup de surveillance on peut rabattre les trois quarts de ces prodiges ; et encore faut-il être complaisant pour en admettre une partie. Tous ceux qui raisonnent connaissent assez comme le crédule vulgaire et même certains historiens sont portés à grossir les choses qui paraissent extraordinaires. Cependant il n’est pas impossible d’en expliquer physiquement la cause. On sait qu’il y a certains terrains qui sont propres à conserver les corps dans toute leur fraîcheur : les raisons en ont été si souvent expliquées qu’il n’est pas nécessaire de s’y arrêter.

On montre encore à Toulouse, dans une église, un caveau où les corps restent si parfaitement dans leur entier, qu’il s’en trouvait, en 1789, qui étaient là depuis près de deux siècles, et qui paraissaient vivants. On les avait rangés debout contre la muraille, et ils portaient les vêtements avec lesquels on les avait enterrés.

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que les

  1. Philosophicæ et christianæ cogitationes de vampiriis, a Joanne Christophoro Herenbergio.