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sent la stérilité ; 15° ils se font en tout les esclaves du diable.

On s’est moqué de ce passage de Bodin ; il est pourtant vrai presque en tout. Sandoval, dans son Histoire de Charles-Quint, raconte que deux jeunes filles, l’une de onze ans et l’autre de neuf, s’accusèrent elles-mêmes comme sorcières devant les membres du conseil royal de Navarre ; elles avouèrent qu’elles s’étaient fait recevoir dans la secte des sorciers, et s’engagèrent à découvrir toutes les femmes qui en étaient, si on consentait à leur faire grâce. Les juges l’ayant promis, ces deux enfants déclarèrent qu’en voyant l’œil gauche d’une personne elles pourraient dire si elle était sorcière ou non ; elles indiquèrent l’endroit où l’on devait trouver un grand nombre de ces femmes, et où elles tenaient leurs assemblées. Le conseil chargea un commissaire de se transporter sur les lieux avec les deux enfants, escortés de cinquante cavaliers. En arrivant dans chaque bourg ou village, il devait enfermer les deux jeunes filles dans deux maisons séparées, et faire conduire devant elles les femmes suspectes de magie, afin d’éprouver le moyen qu’elles avaient indiqué. Il résulta de l’expérience que celles de ces femmes qui avaient été signalées par les deux filles comme sorcières l’étaient réellement. Lorsqu’elles se virent en prison, elles déclarèrent qu’elles étaient plus de cent cinquante ; que, quand une femme se présentait pour être reçue dans leur société, on lui faisait renier Jésus-Christ et sa religion. Le jour où cette cérémonie avait lieu, on voyait paraître au milieu d’un cercle un bouc noir qui en faisait plusieurs fois le tour. À peine avait-il fait entendre sa voix rauque, que toutes les sorcières accouraient et se mettaient à danser ; après cela, elles venaient toutes baiser le bouc au derrière, et faisaient ensuite un repas avec du pain, du vin et du fromage.

Aussitôt que le festin était fini, chaque sorcière s’envolait dans les airs, pour se rendre aux lieux où elle voulait faire du mal. D’après leur propre confession, elles avaient empoisonné trois ou quatre personnes, pour obéir aux ordres de Satan, qui les introduisait dans les maisons, en leur en ouvrant les portes et les fenêtres. Il avait soin de les refermer quand le maléfice avait eu son effet. Toutes les nuits qui précédaient les grandes fêtes de l’année, elles avaient des assemblées générales, où elles faisaient des abominations et des impiétés. Lorsqu’elles assistaient à la messe, elles voyaient l’hostie noire ; mais si elles avaient déjà formé le propos de renoncer à leurs pratiques diaboliques, elles la voyaient blanche. Sandoval ajoute que le commissaire, voulant s’assurer de la vérité des faits par sa propre expérience, fit prendre une vieille sorcière, et lui promit sa grâce, à condition qu’elle ferait devant lui toutes ses opérations de sorcellerie. La vieille, ayant accepté la proposition, demanda la boîte d’onguent qu’on avait trouvée sur elle, et monta dans une tour avec le commissaire et un grand nombre de personnes. Elle se plaça devant une fenêtre, et se frotta d’onguent la paume de la main gauche, le poignet, le nœud du coude, le dessous du bras, l’aine et le côté gauche ; ensuite elle cria d’une voix forte : Es-tu là ? Tous les spectateurs entendirent dans les airs une-voix qui répondit : Oui, me voici. La sorcière se mit alors à descendre le long de la tour, la tête en bas, se servant de ses pieds et de ses mains à la manière des lézards. Arrivée au milieu de la hauteur, elle prit son vol dans les airs devant les assistants, qui ne cessèrent de la voir que lorsqu’elle eut dépassé l’horizon. Dans l’étonnement où ce prodige avait plongé tout le monde, le commissaire fit publier qu’il donnerait une somme d’argent considérable à quiconque lui ramènerait la sorcière. On la lui présenta au bout de deux jours, qu’elle fut arrêtée par des bergers. Le commissaire lui demanda pourquoi elle n’avait pas volé assez loin pour échapper à ceux qui la cherchaient. À quoi elle répondit que son maître n’avait voulu la transporter qu’à la distance de trois lieues, et qu’il l’avait laissée dans le champ où les bergers l’avaient rencontrée.

Ce récit singulier, dû pourtant à un écrivain grave, n’est pas facile à expliquer. Le juge ordinaire ayant prononcé sur l’affaire des cent cinquante sorcières, ni l’onguent ni le diable ne purent leur donner des ailes pour éviter le châtiment de deux cents coups de fouet et de plusieurs années de prison qu’on leur fit subir.

Notre siècle, comme nous l’avons remarqué, n’est pas encore exempt de sorciers. Il y en a dans tous les villages. On en trouve à Paris même, où le magicien Moreau faisait merveilles il y a quarante ans. Mais souvent on a pris pour sorciers des gens qui ne l’étaient pas. Mademoiselle Lorimier, à qui les arts doivent quelques tableaux remarquables, se trouvant à Saint-Flour en 1811 avec une autre dame artiste, prenait, de la plaine, l’aspect de la ville, située sur un rocher. Elle dessinait et faisait des gestes d’aplomb avec son crayon. Les paysans, qui voient encore partout la sorcellerie, jetèrent des pierres aux deux dames, les arrêtèrent et les conduisirent chez le maire, les prenant pour des sorcières qui faisaient des sorts et des charmes. Vers 1778, les Auvergnats prirent pour des sorciers les ingénieurs qui levaient le plan de la province, et les accablèrent de pierres. Le tribunal correctionnel de Marseille eut à prononcer, en 1820, sur une cause de sorcellerie. Une demoiselle, abandonnée par un homme qui devait l’épouser, recourut à un docteur qui passait pour sorcier, lui demandant s’il aurait un secret pour ramener un infidèle et nuire à une rivale. Le nécromancien commença par se