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stamment elle supposait qu’il était jour. Aussi, quand on lui répétait qu’il était temps d’aller se coucher : — Quoi ! disait-elle, aller au lit en plein jour ! Voyant une fois une lampe brûler dans l’appartement où elle était occupée à préparer le dîner, elle l’éteignit en disant qu’elle ne concevait pas pourquoi on voulait avoir une lampe pendant la journée. Elle avait le plus souvent les yeux fermés ; quelquefois cependant elle les tenait grands ouverts, et alors la pupille offrait une dilatation considérable. Au reste, que l’œil fût ouvert ou fermé, il n’en résultait aucune différence dans la force de la vue. On lui présentait des écritures très-fines, des monnaies presque effacées ; elle les lisait très-facilement dans l’obscurité et les yeux fermés.

» Si les idées de la somnambule, par rapport au temps, étaient ordinairement erronées, il n’en était pas de même de celles qui étaient relatives aux lieux ; tous ses mouvements étaient toujours réglés par ses sens, dont les rapports étaient le plus souvent exacts, et non par des notions préconçues. Sa chambre était contiguë à une allée à l’extrémité de laquelle se trouvait l’escalier. Au haut de ce dernier était une porte qu’on laissait ordinairement ouverte, mais que l’on ferma un jour avec intention après qu’elle fut couchée, et que l’on assura en plaçant la lame d’un couteau au-dessus du loquet. À peine levée, dans son accès de somnambulisme, elle sort avec rapidité de sa chambre, et, sans s’arrêter, elle tend la main d’avance pour enlever le couteau, qu’elle jette avec indignation en demandant pourquoi on veut l’enfermer.

» On fit diverses tentatives pour l’éveiller, mais elles furent toutes également infructueuses ; elle entendait, sentait et voyait tout ce qui se passait autour d’elle ; mais les impressions qu’elle recevait par les sens étaient insuffisantes pour la tirer de cet état. Un jour qu’on jeta sur elle un sceau d’eau froide, elle s’écria : — Pourquoi voulez-vous me noyer ? Elle alla aussitôt dans sa chambre changer de vêtement et redescendit de nouveau. On lui donnait quelquefois de fortes doses de laudanum pour diminuer la douleur de tête dont elle se plaignait habituellement, et alors elle ne tardait pas à s’éveiller. Les excitations de toute espèce, et surtout les expériences que l’on faisait pour constater les phénomènes du somnambulisme, prolongeaient invariablement les accès, et aggravaient habituellement sa douleur de tête.

» Les paroxysmes du somnambulisme étaient précédés tantôt d’un sentiment désagréable de pesanteur à la tête, tantôt d’une véritable douleur, d’un tintement dans les oreilles, d’un sentiment de froid aux extrémités et d’une propension irrésistible à l’assoupissement. Ces paroxysmes, au commencement, ne venaient que la nuit et quelques instants seulement après qu’elle s’était mise au lit ; mais à mesure que la maladie fit des progrès, ils commencèrent plus tôt. À une époque plus avancée, les attaques la prirent à toute heure de la journée, et quelquefois elle en eut jusqu’à deux dans le même jour. Lorsqu’elle en pressentait l’approche, elle pouvait les retarder de quelques heures en prenant un exercice violent. Le grand air surtout était le meilleur moyen qu’elle pût employer pour obtenir ce répit ; mais aussitôt qu’elle se relâchait de cette précaution, ou même quelquefois au milieu de l’occupation la plus active, elle éprouvait une sensation qu’elle comparait à quelque chose qui lui aurait monté vers la tête, et perdait aussitôt le mouvement et la parole. Si alors on la transportait immédiatement en plein air, l’attaque était souvent arrêtée ; mais si l’on attendait trop longtemps, on ne pouvait plus se mettre en rapport avec elle, et il était tout à fait impossible de la tirer de cet état. On aurait cru qu’elle venait de s’endormir tranquillement ; ses yeux étaient fermés, la respiration était longue et bruyante, et son attitude, ainsi que les mouvements de sa tête, ressemblaient à ceux d’une personne plongée dans un profond sommeil.

» Pendant les accès qui avaient lieu durant le jour, elle prit toujours le soin de se couvrir les yeux avec un mouchoir, et ne permettait jamais qu’on l’enlevât, à moins que la pièce où elle se trouvait ne fût très-obscure, et cependant elle lisait à travers ce bandeau des pages entières, distinguait l’heure de la montre ; elle jouissait enfin d’une vision aussi parfaite que si elle eût eu les yeux libres et ouverts. Dans quelques expériences qui furent faites par le docteur Beiden, on appliqua sur ses yeux un double mouchoir, et l’on garnit le vide qu’il laissait de chaque côté du nez avec de la ouate. Toutes ces précautions ne diminuèrent en rien la force de sa vue ; mais un fait important, bien qu’il n’explique pas ce phénomène curieux, c’est que, de tout temps, elle a eu les yeux si sensibles à la lumière qu’elle n’a pu jamais s’exposer au grand jour sans son voile. Cette sensibilité était encore bien plus vive pendant le somnambulisme, comme le docteur Beiden le constata.

» Cependant toutes ces expériences fatiguaient considérablement la pauvre fille, dont l’état, au lieu de s’améliorer, allait au contraire en empirant. Cette circonstance et l’insuccès de tous les moyens employés jusqu’alors firent prendre la résolution de l’envoyer à l’hôpital de Worcester, où elle entra le 5 décembre 1833. Les accès s’y répétèrent avec la même fréquence et la même intensité ; mais on remarqua bientôt des changements importants dans les paroxysmes. D’abord la malade commença à rester les yeux ouverts, disant qu’elle n’y voyait pas clair lorsqu’ils étaient fermés ; ensuite les accès se dessinèrent moins bien. Elle conservait dans le somnambulisme