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encore les demons. Schelling nous explique aussi la cause de la lutte de saint Michel contre le démon : « Le corps de Moïse était le principe cosmique et païen, qui existait encore dans le judaïsme : voilà pourquoi le démon prétendit avoir un droit sur ce corps. » Si Satan n’avait été qu’une créature, comment, demande Schelling, aurait-il pu montrer au Christ tous les royaumes du monde, avec leur gloire et lui dire : Je vous donne tout cela, si vous voulez m adorer ?… Satan est donc un principe cosmique…

» Sachant maintenant la haute dignité de Satan, il nous reste à comprendre quelle est son origine. Nous avons assigné, dit Schelling, au Christ une position intermédiaire entre Dieu et la créature. Son antagoniste, le démon, ne pouvait lui être inférieur, puisque le combat devait avoir lieu entre des personnes d’un rang égal. Par conséquent, Satan n’est ni créateur ni créature, mais une puissance intermédiaire, fonctionnant dans l’économie de Dieu. Quelle est cette fonction ? L’Écriture sainte lui donne plusieurs épithètes ; elle le nomme accusateur, calomniateur, celui qui excite des soupçons et des doutes. Le vrai sens de ces dénominations se trouve dans le livre de Job. Dans l’introduction de ce livre, il est dit qu’un jour Satan se présenta hardiment parmi les enfants de Dieu, pour rendre suspectes les intentions de l’ancien émir. Dieu lui permit alors de dépouiller Job de sa fortune. Satan, incapable d’ébranler la fidélité du serviteur de Dieu, apparut une seconde fois devant le Seigneur pour l’accuser. Voilà, dit Schelling, la fonction du démon : d’accuser les hommes devant Dieu, de prévenir Dieu contre eux, d’éveiller des doutes et des soupçons sur leur conduite. Il est, par conséquent, le principe actif qui travaille à la manifestation de ce qui est caché. Sous son influence, l’incertain devient certain, et ce qui est encore indécis parvient à être décidé.

» En vertu de ce principe, le mal qui est caché au fond du cœur de l’homme se manifeste, et Satan contribue ainsi à la gloire de Dieu ; car le mal, pour pouvoir être vaincu et repoussé, doit être mis à nu. C’est à cause de cela qu’il remplit de si importantes fonctions lors de la chute de l’homme. Si l’homme eût soutenu l’épreuve à laquelle il fut soumis, la fonction de Satan aurait été terminée ; mais l’homme succomba, et ce fut au Christ de vaincre le démon. D’après Schelling, Satan était donc d’abord une puissance ayant pour fonction de révéler ce qui était caché au fond des cœurs ; et ce ne fut pas Satan qui corrompit l’homme, mais bien l’homme qui corrompit le démon. — L’homme, dans son état primitif d’innocence, fut, dit-il, un être indécis ; il ne prit une décision que par sa chute. L’être aveugle, le principe de toute existence, même celle de Dieu, était caché et latent au fond de l’homme et devait rester dans cet état pour toujours. (On nous excusera de citer ces erreurs.) Le principe aveugle était renfermé dans des limites qu’il n’aurait jamais dû franchir ; mais Satan, le principe incitatif, vint alors et remua l’homme. Celui-ci éveilla le principe aveugle qui s’empara de lui et l’assujettit. Dès lors Satan devint méchant ; il devint une personne réelle et cosmique qui tend partout des pièges à l’homme.

» Aucune notion, dit encore Schelling, n’est aussi dialectique que celle de Satan, qui varie à chaque époque de son existence. D’abord il n’est pas méchant du tout ; il révèle seulement le mal caché dans l’homme ; mais insensiblement il s’envenime, il s’empire et devient méchant à la fin de la lutte, lorsque sa puissance lui a été enlevée par le Christ. Cependant il continue à exister ; et l’on doit toujours être sur ses gardes pour ne pas retomber sous sa puissance. Mais à la fin, lorsque le Fils aura assujetti toutes choses au Père, lorsque Dieu sera devenu tout en tous, Satan aura terminé sa carrière.

» Schelling explique, dans sa Satanalogie, plusieurs autres passages du Nouveau Testament. — Satan, comme créature, n’aurait jamais eu, dit-il, de puissance sur l’homme ; mais comme principe universel et cosmique, il est le dieu du monde. Tous les hommes sont soumis à son pouvoir ; car chacun de nous sait que toute sa vie, quoiqu’il fasse, est mauvaise devant Dieu. C’est dans ce sens que l’Apôtre dit : — Nous avons à combattre, non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances de l’air.

» Dans la Genèse, continue-t-il, Satan est représenté comme un serpent. Le symbole est vrai et profond, car le démon s’insinue d’une manière imperceptible et empoisonne notre intérieur. Il est la Proserpine de la mythologie ancienne ; ce nom en effet vient de proserpere, ramper. Ce qui se passa intérieurement dans l’homme est raconté dans la Genèse comme un fait extérieur. — C’est un mythe, si l’on veut, mais c’est un mythe nécessaire, puisque le principe latent sollicite continuellement l’homme pour arriver à une existence réelle. Il rôde autour de l’homme comme un lion affamé, cherchant son repos dans l’homme, là où il trouve l’entrée ouverte ; et chassé d’un lieu, il se rend à un autre. Il est le principe mobile de l’histoire, qui sans lui arriverait bientôt à un état de stagnation et de sommeil. Il dresse toujours des embûches à la conscience de l’homme, car la vie consiste dans la conscience du moi.

» Comparons encore, continue Schelling, notre manière de voir avec d’autres passages des saintes Écritures. Nous lisons dans l’Apocalypse que Satan tomba du ciel sur la terre. Il ne s’agit pas ici d’un bon ange devenu méchant, mais d’un changement des relations du démon avec Dieu. Il perdit par le Christ sa fonction religieuse, et acquit en même temps une existence politique ; son action se révéla sur les champs de bataille