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diaboliques ; qu’un jour, dans le jardin, s’étant assise sous un mûrier, un horrible chat noir et puant lui avait mis ses pattes sur ses épaules et avait approché sa gueule de sa bouche ; c’était un démon. Elle dit en outre qu’on faisait au sabbat la procession ; que le diable, moitié homme et moitié bouc, assistait à ces cérémonies exécrables, et que sur l’autel il y avait des chandelles allumées qui étaient toutes noires. On trouve généralement le secret de ces horreurs dans les mœurs abominables de la fin du seizième siècle.

Dans le Limbourg, il n’y a pas cent ans, on comptait encore beaucoup de bohémiens et de bandits qui faisaient le sabbat. Leurs initiations avaient lieu dans un carrefour solitaire, où végétait une masure qu’on appelait la Chapelle des boucs. Celui qu’on recevait sorcier était enivré, puis mis à califourchon sur un bouc de bois qu’on agitait au moyen d’un pivot ; on lui disait qu’il voyageait par les airs. Il le croyait d’autant plus qu’on le descendait de sa monture pour le jeter dans une orgie qui était pour lui le sabbat[1].

On sait, dit Malebranche, que cette erreur du sabbat n’a quelquefois aucun fondement ; que le prétendu sabbat des sorciers est quelquefois l’effet d’un délire et d’un déréglement de l’imagination, causé par certaines drogues desquelles se servent les malheureux qui veulent se procurer ce délire. Ce qui entretient la crédulité populaire, ajoute Bergier, ce sont les récits de quelques peureux qui, se trouvant égarés la nuit dans les forêts, ont pris pour le sabbat des feux allumés par les bûcherons et les charbonniers, ou qui, s’étant endormis dans la peur, ont cru entendre et voir le sabbat, dont ils avaient l’imagination frappée. Il n’y a aucune notion du sabbat chez les anciens Pères de l’Église. Il est probable que c’est une imagination qui a pris naissance chez les barbares du Nord ; que ce sont eux qui l’ont apportée dans nos climats, et qu’elle s’y est accréditée par des faits, comme celui de la Chapelle des boucs, au milieu de l’ignorance dont leur irruption fut suivie.

Charles II, duc de Lorraine, voyageant incognito dans ses États, arriva un soir dans une ferme, où il se décida à passer la nuit. Il fut surpris de voir qu’après son souper on préparait un second repas plus délicat que le sien, et servi avec un soin et une propreté admirables. Il demanda au fermier s’il attendait de la compagnie. « Non, monsieur, répondit le paysan ; mais c’est aujourd’hui jeudi, et toutes les semaines, à pareille heure, les démons se rassemblent dans la forêt voisine avec les sorciers des environs pour y faire leur sabbat. Après qu’on a dansé le branle du diable, ils se divisent en quatre bandes. La première vient souper ici ; les autres se rendent dans des fermes peu éloignées. — Et payent-ils ce qu’ils prennent ? demanda Charles. — Loin de payer, répondit le fermier, ils emportent encore ce qui leur convient, et s’ils ne se trouvent pas bien reçus, nous en passons de dures ; mais que voulez-vous qu’on fasse contre des sorciers et des démons ? » Le prince, étonné, voulut approfondir ce mystère ; il dit quelques mots à l’oreille d’un de ses écuyers, et celui-ci partit au grand galop pour la ville de Toul, qui n’était qu’à trois lieues. Vers deux heures du matin, une trentaine de sorciers, de sorcières et de démons entrèrent ; les uns ressemblaient à des ours, les autres avaient des cornes et des griffes. À peine étaient-ils à table que l’écuyer de Charles II reparut, suivi d’une troupe de gens d’armes. Le prince, escorté, entra dans la salle du souper : — Des diables ne mangent pas, dit-il ; ainsi vous voudrez bien permettre que mes gens d’armes se mettent à table à votre place… Les sorciers voulurent répliquer, et les démons proférèrent des menaces. — Vous n’êtes point des démons, leur cria Charles : les habitants de l’enfer agissent plus qu’ils ne parlent, et si vous en sortiez, nous serions déjà tous fascinés par vos prestiges. Voyant ensuite que la bande infernale ne s’évanouissait pas, il ordonna à ses gens de faire main basse Sur les sorciers et leurs patrons. On arrêta pareillement les autres membres du sabbat, et le matin Charles II se vit maître de plus de cent vingt personnes. On les dépouilla, et on trouva des paysans, qui, sous ces accoutrements, se rassemblaient de nuit dans la forêt pour y faire des orgies abominables, et piller ensuite les riches fermiers. Le duc de Lorraine (qui avait généreusement payé son souper avant de quitter la ferme) fit punir ces prétendus sorciers et démons comme des coquins et des misérables. Le voisinage fut délivré pour le moment de ces craintes ; mais la peur du sabbat ne s’affaiblit pas pour cela dans la Lorraine.

Duluc, dans ses Lettres sur l’histoire de la terre et de l’homme, tome IV, lettre 91, rapporte encore ce qui suit : « Il y a environ dix ans, vers 1769, qu’il s’était formé dans la Lorraine allemande et dans l’électorat de Trêves une association de gens de la campagne qui avaient secoué tout principe de religion et de morale. Ils s’étaient persuadé qu’en se mettant à l’abri des lois ils pouvaient satisfaire sans scrupule toutes leurs passions. Pour se soustraire aux poursuites de la justice, ils se comportaient dans leurs villages avec la plus grande circonspection : l’on n’y voyait aucun désordre ; mais ils s’assemblaient la nuit en grandes bandes, allaient à force ouverte dépouiller les habitations écartées, commettaient d’abominables excès, et employaient les menaces les plus terribles pour forcer au silence les victimes de leur brutalité. Un de leurs complices ayant été saisi par hasard pour quel-

  1. Voyez, aux Légendes infernales, l’histoire de la Chapelle des boucs, insérée dans le chapitre des sorciers.