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devant un bahut qu’il avait transformé en autel. Les coassements continuaient toujours !… Enfin, n’y pouvant plus tenir, le pauvre Jacquemin fit part à quelques personnes de l’intention où il était de se donner la mort, et les pria naïvement de l’y aider ; il acheta un collier en fer, se le mit au cou, et un de ses amis voulut bien serrer la vis pour l’étrangler ; mais il s’arrêta quand il crut que la douleur aurait fait renoncer Jacquemin à son projet. Le paysan choisit un autre moyen et pria une autre personne de l’étouffer entre deux matelas ; cette personne feignit d’y consentir, et s’arrêta quand elle pensa que Jacquemin avait assez souffert et que ce serait pour lui une leçon. Mais l’esprit de Jacquemin était trop vivement impressionné, et un malheur était imminent. En effet, un jour, on fut étonné de ne pas l’apercevoir ; on fit des recherches dans la maison, et on le trouva pendu dans son grenier. Le lendemain, sa femme, au désespoir de la perte de son mari, se jeta dans une mare où elle trouva aussi la mort. »

Et voilà les suites d’une de ces stupides plaisanteries comme les jeunes étourdis en font tant !

On conte qu’il y avait dans un village du Poitou un fermier nommé Hervias. Le valet de cet homme pensa qu’il lui serait avantageux d’épouser la fille de la maison, qui s’appelait Catherine et qui était riche. Comme il ne possédait rien, et que pour surcroît la main de la jeune fille était promise à un cousin qu’elle aimait, le valet imagina un stratagème. Un mois avant la noce, comme le fermier se trouvait une certaine nuit plongé dans son meilleur sommeil, il en fut tiré en sursaut par un bruit étrange qui se fit auprès de lui. Une main agita les rideaux de son lit ; et il vit au fond de sa chambre un fantôme couvert d’un drap noir sur une longue robe blanche. Le fantôme tenait une torche à demi éteinte à la main droite et une fourche à la gauche. Il traînait des chaînes ; il avait une tête de cheval lumineuse. Hervias poussa un gémissement, son sang se glaça ; et il eut à peine la force de demander au fantôme ce qu’il voulait.

« Tu mourras dans trois jours, répondit brutalement l’esprit, si tu songes encore au mariage projeté entre ta fille et son jeune cousin ; tu dois la marier, dans ta maison, avec le premier homme que tu verras demain à ton lever. Garde le silence ; je viendrai la nuit prochaine savoir ta réponse. » En achevant ces mots, le fantôme disparut.

Hervias passa la nuit sans dormir. Au point du jour, quelqu’un entra pour lui demander des ordres ; c’était le valet. Le fermier fut consterné de la pensée qu’il fallait lui donner sa fille ; mais il ne témoigna rien, se leva ; alla trouver Catherine et finit par lui raconter le tout. Catherine, désolée, ne sut que répondre. Son jeune cousin vint ce jour-là ; elle lui apprit la chose, mais il ne se troubla point. Il proposa à son futur beau-père de passer la nuit dans sa chambre, Hervias y consentit. Le jeune cousin feignit donc de partir le soir pour la ville, et rentra dans la ferme après la chute du jour. Il resta sur une chaise auprès du lit d’Hervias, et tous deux attendirent patiemment le spectre. La fenêtre s’ouvrit vers minuit ; comme la veille, on vit paraître le fantôme dans le même accoutrement, il répéta le même ordre. Hervias tremblait, le jeune cousin, qui ne craignait pas les apparitions, se leva et dit : « Voyons qui nous fait des menaces si précises. » En même temps il sauta sur le spectre qui voulait fuir ; il le saisit, et, sentant entre ses bras un corps solide, il s’écria : « Ce n’est pas un esprit. » Il jeta le fantôme par la fenêtre, qui était élevée de douze pieds. On entendit un cri plaintif. « Le revenant n’osant, plus revenir, dit le jeune cousin, allons voir s’il se porte bien. » Le fermier ranima son courage autant qu’il put, et descendit avec son gendre futur. On trouva que le prétendu démon était le valet de la maison… On n’eut pas besoin de lui donner des soins ; sa chute l’avait assommé, et il mourut au bout de quelques heures : sort fâcheux dans tous les cas.

Dans le château d’Ardivilliers, près de Bre-teuil, en Picardie, au temps de la jeunesse de Louis XV, un esprit faisait un bruit effroyable. C’étaient toute la nuit des flammes qui faisaient paraître le château en feu, c’étaient des hurlements épouvantables. Mais cela n’arrivait qu’en certain temps de l’année, vers la Toussaint. Personne n’osait y demeurer que le fermier, avec qui l’esprit était apprivoisé. Si quelque malheureux passant y couchait une nuit, il était si bien étrillé qu’il en portait longtemps les marques. Les paysans d’alentour voyaient mille fantômes qui ajoutaient à l’effroi. Tantôt quelqu’un avait aperçu en l’air une douzaine d’esprits au-dessus du château ; ils étaient tous de feu et dansaient un branle à la paysanne ; un autre avait trouvé dans une prairie je ne sais combien de présidents et de conseillers en robe rouge, assis et jugeant à mort un gentilhomme du pays, qui avait eu la tête tranchée il y avait bien cent ans. Plusieurs autres avaient vu, ou tout au moins ouï dire, des merveilles du château d’Ardivilliers. Cette farce dura quatre ou cinq ans, et fit grand tort au maître du château, qui était obligé d’affermer sa terre à très-vil prix. Il résolut enfin de faire cesser la lutinerie, persuadé par beaucoup de circonstances qu’il y avait de l’artifice en tout cela. Il se rend à sa terre vers la Toussaint, couche dans son château et fait demeurer dans sa chambre deux gentilshommes de ses amis, bien résolus, au premier bruit ou à la première apparition, de tirer sur les esprits avec de bons pistolets. Les esprits, qui savent tout, surent apparemment ces préparatifs ; pas un ne parut. Ils se