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domestique. La ressemblance de l’ours indique la fureur, le pouvoir de déchirer, une humeur misanthrope[1] ; celle du sanglier ou du cochon annonce un naturel lourd, vorace et brutal. Le blaireau est ignoble, méfiant et glouton. Le bœuf est patient, opiniâtre, pesant, d’un appétit grossier. La ligne que forme la bouche de la vache et du bœuf est l’expression de l’insouciance, de la stupidité et de l’entêtement. Le cerf et la biche : timidité craintive, agilité, attention, douce et paisible innocence. La ressemblance de l’aigle annonce une force victorieuse ; son œil étincelant a tout le feu de l’éclair. Le vautour a plus de souplesse, et en même temps quelque chose de moins noble. Le hibou est plus faible plus timide que le vautour. Le perroquet : affectation de force, aigreur et babil, etc. Toutes ces sortes de ressemblances varient à l’infini, mais elles sont difficiles à trouver.

Tels sont les principes de la physiognomonie, d’après Aristote, Albert le Grand, Porta, etc., mais principalement d’après Lavater, qui a le plus écrit sur cette matière, et qui du moins a mis quelquefois un grain de bon sens dans ses essais. Il parle avec sagesse : lorsqu’il traite des mouvements du corps et du visage, des gestes et des parties mobiles qui expriment, sur la figure de l’homme, ce qu’il sent intérieurement et au moment où il le sent. Mais combien il extravague aussi lorsqu’il veut décidément trouver du génie dans la main ! Il juge les femmes avec une injustice extrême.

Tant que la physiognomonie apprendra à l’homme à connaître la dignité de l’être que Dieu lui a donné, cette science, quoique en grande partie hasardeuse, méritera pourtant quelques éloges, puisqu’elle aura un but utile et louable. Mais lorsqu’elle dira qu’une personne constituée de telle sorte est vicieuse de sa nature ; qu’il faut la fuir et s’en défier ; que, quoique cette personne présente un extérieur séduisant et un air plein de bonté et de candeur, il faut toujours l’éviter, parce que son naturel est affreux, que son visage l’annonce et que le signe en est certain, immuable, la physiognomonie sera une science abominable qui établit le fatalisme.

On a vu des gens assez infatués de cette science pour se donner les défauts que leur visage portail nécessairement et devenir vicieux, en quelque sorte, parce que la fatalité de leur physionomie les y condamnait, semblables à ceux-là-qui abandonnaient la vertu parce que la fatalité de leur étoile les empêchait d’être vertueux.

Les pensées suivantes, publiées par le Journal de santé, sont extraites d’un petit Traité de la physiognomonie, par M. Bourdon :

« La douleur physique, les souffrances, donnent souvent à la physionomie une expression analogue à celle dm génie, l’ai vu une femme du peuple, affectée d’un cancer, qui ressemblait parfaitement à madame de Staël quant à l’expression profonde de la physionomie. Je dis la même chose des passions contrariées, des violents chagrins, des fatigues de l’esprit et de l’abus des jouissances : tout ce qui remue vivement notre âme, tout ce qui porte coup à la sensibilité, a des effets à peu près semblables sur la figure.

» Une grosse tête annonce de l’imagination par instants, de là pesanteur par habitude, de l’enthousiasme par éclairs, beaucoup de volonté et souvent du génie. Un front étroit indique de la vivacité ; un front rond de la colère.

» Chaque homme a beaucoup de peine à se faire une juste idée de ses propres traits ; les femmes elles-mêmes n’y parviennent que très-difficilement. Cela vient de ce qu’on ne peut voir les mouvements des yeux, par qui la physionomie reçoit sa principale expression.

» On peut, jusqu’à un certain point, juger de la respiration d’une personne d’après son style, d’après la coupe de ses phrases et sa ponctuation. Assurément J. J. Rousseau ne ponctuait pas comme Voltaire, ni Bossuet comme Fénelon. Quand je dis qu’on peut à l’aide du style apprécier la respiration d’un individu, c’est dire qu’on peut aussi juger des passions qui l’agitent, de l’émotion qu’il éprouve ; car les vives pensées ont pour effet de remuer le cœur, et les palpitations du cœur accélèrent la respiration et rendent la voix tremblante. Voilà d’où vient le pouvoir qu’une voix émue est toujours sûre d’exercer sur nous : elle attire l’attention, elle indique un orateur ou inspiré, ou timide, ou consciencieux. Les orateurs froids et médiocres simulent celle émotion vraie, qui vient du cœur, à l’aide de l’agitation oscillatoire et saccadée des bras.

» La même émotion morale qui hâte la respiration, qui fait palpiter le cœur et rend la voix tremblante, rend de même tous les mouvements du corps vacillants et incertains, tant que dure l’inspiration morale, et quelquefois même long-

  1. Beaucoup d’écrivains se sont exercés dans ces données. M. Alexis Dumesnil, dans ses Mœurs politiques, divise les hommes en deux espèces sociales, l’espèce conservatrice et l’espèce destructive. Le mot n’est pas correct. Pour être conséquent en langage, l’auteur aurait dû dire : l’espèce destructrice. Destructif non plus ne s’applique pas rigoureusement aux êtres animés ; et nous le sommes, nous que M. Dumesnil, détracteur du présent, juge en dernier ressort espèce destructive. Ce sont les anciens qui conservaient, si on veut l’en croire, eux qui n’ont cessé de saccager et de renverser. Il va plus loin ; il prétend qu’on peut reconnaître par la mimique et la physiognomonie les individus destructifs. « L’espèce destructive, dit-il, a sa forme de tête particulière, courte ordinairement et étroite du haut, quelquefois même terminée en pain de sucre, mais toujours remarquable par un très-grand développement du crâne vers les oreilles ; ce qui lui donne l’apparence d’une poire. » Voilà qui passe la plaisanterie ; une tête au contraire qui a la tournure d’un pain de sucre renversé ou d’un navet dénote l’espèce conservatrice…