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ORA
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lombes étaient venues d’Égypte dans leur forêt, parlant le langage des hommes, et qu’elles avaient commandé d’y bâtir un temple à Jupiter, qui promettait de s’y trouver et d’y rendre des oracles. Pausanias conte que des filles merveilleuses se changeaient en colombes, et sous cette forme rendaient les célèbres oracles de Dodone. Les chênes parlaient dans cette forêt enchantée (Voy. Arbres), et on y voyait une statue qui répondait à tous ceux qui la consultaient, en frappant avec une verge sur des chaudrons d’airain, laissant à ses prêtres le soin d’expliquer les sons prophétiques qu’elle produisait.

Le bœuf Apis, dans lequel l’âme du grand Osiris s’était retirée, était regardé chez les Égyptiens comme un oracle. En le consultant, on se mettait les mains sur les oreilles et on les tenait bouchées jusqu’à ce qu’on fût sorti de l’enceinte du temple ; alors on prenait pour réponse du dieu la première parole qu’on entendait.

Ceux qui allaient consulter en Achaïe l’oracle d’Hercule, après avoir fait leur prière dans le temple, jetaient au hasard quatre dés, sur les faces desquels étaient gravées quelques figures ; ils allaient ensuite à un tableau où ces hiéroglyphes étaient expliqués et prenaient pour la réponse du dieu l’interprétation qui répondait à la chance qu’ils avaient amenée.

Les oracles présentaient ordinairement un double sens, qui sauvait l’honneur du dieu et leur donnait un air de vérité, mais de vérité cachée au milieu du mensonge, que peu de gens avaient l’esprit de voir.

Théagène de Thase avait remporté quatorze cents couronnes en différents jeux, de sorte qu’après sa mort on lui éleva une statue en mémoire de ses victoires. Un de ses ennemis allait souvent insulter cette statue, qui tomba sur lui et l’écrasa. Ses enfants, conformément aux lois de Dracon, qui permettaient d’avoir action même contre les choses inanimées, quand il s’agissait de punir l’homicide, poursuivirent la statue de Théagène pour le meurtre de leur père ; elle fut condamnée à être jetée dans la mer. Les Thasiens furent peu après affligés d’une peste. L’oracle consulté répondit : Rappelez vos exilés. Ils rappelèrent en conséquence quelques-uns de leurs concitoyens ; mais la calamité ne cessant point, ils renvoyèrent à l’oracle, qui leur dit alors plus clairement : Vous avez détruit les honneurs du grand Théagène !… La statue fut remise à sa place ; on lui sacrifia comme à un dieu, et la peste s’apaisa.

On consultait l’oracle sur toutes choses. Euchidas, jeune Platéen, périt victime de son zèle pour son pays. Après la bataille de Platée, l’oracle de Delphes ordonna à ses compatriotes d’éteindre tout le feu qui était dans le pays, parce qu’il avait été profané par les barbares, et d’en venir prendre un plus pur à Delphes. Le feu fut éteint dans toute la contrée. Euchidas se chargea d’aller chercher celui de Delphes avec toute la diligence possible. En effet, il partit en courant et revint de même, après avoir fait mille stades dans un jour. En arrivant, il salua ses compatriotes, leur remit le feu sacré et tomba mort de lassitude. Les Platéens lui élevèrent un tombeau avec cette épitaphe : « Ci-gît Euchidas, mort pour être allé à Delphes et en être revenu en un seul jour. »

Philippe, roi de Macédoine, fut averti par l’oracle d’Apollon qu’il serait tué par une charrette : c’est pourquoi il commanda aussitôt qu’on fît sortir toutes les charrettes et tous les chariots de son royaume. Toutefois il ne put échapper au sort que l’oracle avait si bien prévu : Pausanias, qui lui donna la mort, portait une charrette gravée à la garde de l’épée dont il le perça. Ce même Philippe désirant savoir s’il pourrait vaincre les Athéniens, l’oracle qu’il consultait lui répondit :

 

Avec lances d’argent quand tu feras la guerre,
Tu pourras terrasser les peuples de la terre.

 
Ce moyen lui réussit merveilleusement, et il disait quelquefois qu’il était maître d’une place s’il pouvait y faire entrer un mulet chargé d’or.

L’ambiguïté était un des caractères les plus ordinaires des oracles, et le double sens ne pouvait que leur être favorable. Ainsi, quand la Pythie dit à Néron : « Garde-toi des soixante-treize ans, » ce prince crut que les dieux lui annonçaient par là une longue vie. Mais il fut bien étonné quand il vit que cette réponse indiquait Galba, vieillard de soixante-treize ans, qui le détrôna.

Quelquefois les oracles ont dit des vérités. Qui les y contraignait ? On est surpris de lire dans Porphyre que l’oracle de Delphes répondit un jour à des gens qui lui demandaient ce que c’était que Dieu : « Dieu est la source de la vie, le principe de toutes choses, le conservateur de tous les êtres. Tout est plein de Dieu : il est partout. Personne ne l’a engendré : il est sans mère. Il sait tout, et on ne peut rien lui apprendre. Il est inébranlable dans ses desseins, et son nom est ineffable. Voilà ce que je sais de Dieu, ne cherche pas à en savoir davantage : ta raison ne saurait le comprendre, quelque sage que tu sois. Le méchant et l’injuste ne peuvent se cacher devant lui ; l’adresse et l’excuse ne peuvent rien déguiser à ses regards perçants. »

Dans Suidas, l’oracle de Sérapis dit à Thulis, roi d’Égypte : « Dieu, le Verbe, et l’Esprit qui les unit, tous ces trois ne sont qu’un : c’est le Dieu dont la force est éternelle. Mortel, adore et tremble, ou tu es plus à plaindre que l’animal dépourvu de raison. »

Le comte de Gabalis, en attribuant les oracles aux esprits élémentaires, ajoute qu’avant Jésus-Christ ces esprits prenaient plaisir à expliquer aux hommes ce qu’ils savaient de Dieu et à leur