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Les Égyptiens embaumaient les corps et les conservaient précieusement ; les Grecs et les Romains les brûlaient. Cette coutume de brûler les morts est fort ancienne. Les Égyptiens, avant de rendre à leurs rois les honneurs funèbres, les jugeaient devant le peuple et les privaient de sépulture s’ils s’étaient conduits en tyrans.

Quand le roi des Tartares mourait, on mettait son corps embaumé dans un chariot, et on le promenait dans toutes ses provinces. Il était permis à chaque gouverneur de lui faire quelque outrage, pour se venger du tort qu’il en avait reçu. Par exemple, ceux qui n’avaient pu obtenir audience maltraitaient les oreilles, qui leur avaient été fermées ; ceux qui avaient été indignés de ses débauches s’en prenaient aux cheveux, qui étaient sa principale beauté, et lui faisaient mille huées, après l’avoir rasé, pour le rendre laid et ridicule. Ceux qui se plaignaient de sa trop grande délicatesse lui déchiraient le nez, croyant qu’il n’était devenu efféminé que parce qu’il avait trop aimé les parfums. Ceux qui décriaient son gouvernement lui brisaient le front, d’où étaient sorties toutes ses ordonnances tyranniques ; ceux qui en avaient reçu quelque violence lui mettaient les bras en pièces. Après qu’on l’avait ramené au lieu où il était mort, on le brûlait avec une de ses femmes, un échanson, un cuisinier, un écuyer, un palefrenier, quelques chevaux et cinquante esclaves[1].

Quand un Romain mourait, on lui fermait les yeux pour qu’il ne vît point l’affliction de ceux qui l’entouraient. Lorsqu’il était sur le bûcher, on les lui rouvrait pour qu’il pût voir la beauté des cieux qu’on lui souhaitait pour demeure. On faisait faire ordinairement la figure du mort, ou en cire, ou en marbre, ou en pierre ; et cette figure accompagnait le cortège funèbre, entourée de pleureuses à gages. Chez plusieurs peuples de l’Asie et de l’Afrique, aux funérailles d’un homme riche et de quelque distinction, on égorge et on enterre avec lui cinq ou six de ses esclaves. Chez les Romains, dit Saint-Foix, on égorgeait aussi des vivants pour honorer les morts ; on faisait combattre des gladiateurs devant le bûcher, et on donnait à ces massacres le nom de jeux funéraires. En Égypte et au Mexique, dit le même auteur, on faisait toujours marcher un chien à la tête du convoi funèbre. En Europe, sur les anciens tombeaux des princes et des chevaliers, on voit communément des chiens à leurs pieds.

LesParthes, les Mèdes et les Ibériens exposaient les corps, ainsi que chez les Perses, pour qu’ils fussent au plus tôt dévorés par les bêtes sauvages, ne trouvant rien de plus indigne de l’homme que la putréfaction. Les Bactriens nourrissaient, pour ce sujet, de grands chiens dont ils avaient un soin extrême. Ils se faisaient autant de gloire de les nourrir grassement que les autres peuples de se bâtir de superbes tombeaux. Un Bactrien faisait beaucoup d’estime du chien qui avait mangé son père. Les Barcéens faisaient consister le plus grand honneur de la sépulture à être dévorés par les vautours ; de sorte que toutes les personnes de mérite et ceux qui mouraient en combattant pour la patrie étaient aussitôt exposés dans les lieux où les vautours pouvaient en faire curée. Quant à la populace, on l’enfermait dans des tombeaux, ne la jugeant pas digne d’avoir pour sépulture le ventre des oiseaux sacrés.

Plusieurs peuples de l’Asie eussent cru se rendre coupables d’une grande impiété en laissant pourrir les corps ; c’est pourquoi, aussitôt que quelqu’un était mort parmi eux, ils le mettaient en pièces et le mangeaient en grande dévotion avec les parents et les amis. C’était, lui rendre honorablement les derniers devoirs. Pythagore enseigna la métempsycose des âmes ; ceux-ci pratiquaient la métempsycose des corps, en faisant passer le corps des morts dans celui des vivants. D’autres peuples, tels que les anciens Hiberniens, les Bretons et quelques nations asiatiques, faisaient encore plus pour les vieillards : ils les égorgeaient dès qu’ils étaient septuagénaires et en faisaient pareillement un festin. C’est ce qui se pratique encore chez quelques peuplades sauvages.

Les Chinois font publier le convoi, pour que le concours du peuple soit plus nombreux. On fait marcher devant le mort des drapeaux et des bannières, puis des joueurs d’instruments, suivis de danseurs revêtus d’habits fort bizarres, qui sautent tout le long du chemin avec des gestes ridicules. Après cette troupe viennent des gens armés de boucliers et de sabres, ou de gros bâtons noueux. Derrière eux, d’autres portent des armes à feu dont ils font incessamment des décharges. Enfin, les prêtres, criant de toutes leurs forces, marchent avec les parents, qui mêlent à ces cris des lamentations épouvantables ; le cortège est fermé par le peuple. Cette musique enragée et ce mélange burlesque de joueurs, de danseurs, de soldats, de chanteuses et de pleureurs donnent beaucoup de gravité à la cérémonie. On ensevelit le mort dans un cercueil précieux, et on enterre avec lui, entre plusieurs objets, de petites figures horribles, pour faire sentinelle près de lui et effrayer les démons ; après quoi on célèbre le festin funèbre, où l’on invite de temps en temps le défunt à manger et à boire avec les convives. Les Chinois croient que les morts reviennent en leur maison une fois tous les ans, la dernière nuit de l’année. Pendant toute cette nuit, ils laissent leur porte ouverte, afin que les âmes de leurs parents trépassés puissent entrer ; ils leur préparent des lits

  1. Muret, Des cérémonies funèbres.