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sion. Alors on mettra la bague a son doigt. En tournant la pierre au dehors de la main, elle a la vertu de rendre invisible aux yeux des assistants celui qui la porte ; et quand on veut être vu, il suffit de rentrer la pierre en dedans de la main, que l’on ferme en forme de poing.

Porphyre, Jamblique, Pierre d’Apone et Agrippa, ou du moins les livres de secrets qui leur sont attribués, soutiennent qu’un anneau fait de la manière suivante a la même propriété. Il faut prendre des poils qui sont au-dessus de la tête de l’hyène, et en faire de petites tresses avec lesquelles son fabrique un anneau, qu’on porte aussi dans le nid de la huppe. On le laisse là neuf jours ; on le passe ensuite dans des parfums préparés sous les auspices de Mercure (planète). On s’en sert comme de l’autre anneau, excepté qu’on l’ôte absolument du doigt quand on ne veut plus être invisible.

Si, d’un autre côté, on veut se précautionner contre l’effet de ces anneaux cabalistiques, on aura une bague faite de plomb raffiné et purgé ; on enchâssera dans le chaton un œil de jeune belette qui n’aura porté des petits qu’une fois ; sur le contour on gravera les paroles suivantes : Apparuit Domina Simoni. Cette bague se fera un samedi, lorsqu’on connaîtra que Saturne est en opposition avec Mercure. On l’enveloppera dans un morceau de linceul mortuaire qui ait enveloppé un mort ; on l’y laissera neuf jours ; puis, l’ayant retirée, on fera trois fois le parfum de Saturne, et on s’en servira.

Ceux qui ont imaginé ces anneaux ont raisonné sur le principe de l’antipathie qu’ils supposaient entre les matières qui les composent. Rien n’est plus antipathique à la huppe que l’hyène, et Saturne rétrograde presque toujours à Mercure ; ou, lorsqu’ils se rencontrent dans le domicile de quelques signes du zodiaque, c’est toujours un aspect funeste et de mauvais augure[1]. Nous parlons astrologie.

On peut faire d’autres anneaux sous l’influence des planètes, et leur donner des vertus au moyen de pierres et d’herbes merveilleuses. « Mais dans ces caractères, herbes cueillies, constellations et charmes, le diable se coule, » comme dit Leloyer, quand ce n’est pas simplement le démon de la grossière imposture. « Ceux qui observent les heures des astres, ajoute-t-il, n’observent que les heures des démons qui président aux pierres, aux herbes et aux astres mêmes. » — Et il est de fait que ce ne sont ni des saints ni des cœurs honnêtes qui se mêlent de ces superstitions.

Anneberg, démon des mines ; il tua un jour de son souffle douze ouvriers qui travaillaient à une mine d’argent dont il avait la garde. C’est un démon méchant, rancunier et terrible. Il se montre surtout en Allemagne ; on dit qu’il a la figure d’un cheval, avec un cou immense et des yeux effroyables[2]. C’est le même que l’annaberge.

Année. Plusieurs peuples ont célébré par des cérémonies plus ou moins singulières le retour du nouvel an. Chez les Perses, un jeune homme s’approchait du prince et lui faisait des offrandes, en disant qu’il lui apportait la nouvelle année de la part de Dieu. Chez nous, on se donne des étrennes.

Des Gaulois commençaient l’année par la cérémonie du gui de chêne, qu’ils appelaient le gui de l’an neuf ou du nouvel an. Les druides, accompagnés du peuple, allaient dans une forêt, dressaient autour du plus beau chêne un autel triangulaire de gazon, et gravaient sur le tronc et sur les deux plus grosses branches de l’arbre révéré les noms des dieux qu’ils croyaient les plus puissants : Theutatès, Hésus, Taranis, Belenus. Ensuite l’un d’eux, vêtu d’une blanche tunique, coupait le gui avec une serpe d’or ; deux autres druides étaient là pour le recevoir dans un linge et prendre garde qu’il ne touchât la terre. Ils distribuaient l’eau où ils faisaient tremper ce nouveau gui, et persuadaient au peuple qu’elle guérissait plusieurs maladies et qu’elle était efficace contre les sortilèges[3].

Année platonique. On appelle année platonique un espace de temps à la fin duquel tout doit se retrouver à la même place. Les uns comptent seize mille ans pour cette révolution, d’autres trente-six mille[4]. Il y en eut aussi qui croyaient anciennement qu’au bout de cette période le monde serait renouvelé, et que les âmes rentreraient dans leurs corps pour commencer une nouvelle vie semblable à la précédente. On conte là-dessus cette petite anecdote :

Des Allemands, arrêtés dans une auberge de Châlons-sur-Marne, amenèrent la conversation sur cette grande année platonique où toutes les choses doivent retourner à leur premier état ; ils voulurent persuader au maître du logis qu’il n’y avait rien de si vrai que cette révolution ; « de sorte, disaient-ils, que, dans seize mille ans d’ici, nous serons à boire chez vous à pareille heure et dans cette même chambre. »

La-dessus, ayant très-peu d’argent, en vrais Allemands qu’ils étaient, ils prièrent l’hôte de leur faire crédit jusque-là.

Le cabaretier champenois leur répondit qu’il le voulait bien. « Mais, ajouta-t-il, parce qu’il y a seize mille ans, jour pour jour, heure pour heure, que vous étiez pareillement à boire ici comme

  1. Petit Albert.
  2. Wierus, De præst., lib. I, cap. xxii.
  3. Saint-Foix, Essais,, etc., t. II.
  4. Quelques-uns disaient que les corps célestes seulement se retrouvaient au même point au bout de la grande année. Cicéron, dans un passage de son Hortensius, conservé par Servius, fait cette grande année de douze mille neuf cent cinquante-quatre des nôtres.