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nois. Elle fut établie à Gênes en 1720, en France elle a été supprimée de nos jours.

Entre plusieurs moyens imaginés par les visionnaires pour gagner à la loterie, le plus commun était celui des songes. Un rêve, sans que l’on en sache la raison, indiquait à celui qui l’avait fait les numéros qui devaient sortir au prochain tour de roue. Si l’on voit en songe un aigle, disent les livres qui enseignent cette science, il donne 8, 20, 46 ; un ange, 20, 46, 56 ; un bouc, 10, 13, 90 ; des brigands, 4, 19, 33 ; un champignon, 70, 80, 90 ; un chat-huant, 13, 85 ; un crapaud, 4, 46 ; le diable, 4, 70, 80 ; un dindon, 80, 40, 66 ; un dragon, 8, 12, 43, 60 ; les fantômes, 1, 22, 52 ; une femme, 4, 9, 22 ; une fille, 20, 35, 58 ; une grenouille, 3, 19, 27 ; la lune, 9, 46, 79, 80 ; un moulin, 15, 49, 62 ; un ours, 21, 50, 63 ; un pendu, 17, 71 ; des puces, 45, 57, 83. Des rats, 9, 40, 56 ; un spectre, 31, 43, 74, etc. Or, dans cent mille personnes qui mettaient à la loterie, il y avait cent mille rêves différents, et il ne sortait que cinq numéros ; de plus, aucun système ne ressemblait à un autre. Si Cagliostro donnait pour tel rêve les numéros 11, 27, 82, un autre indiquait des numéros tout différents. — Croirait-on que les livres de secrets merveilleux donnent gravement ce procédé pour gagner à la loterie ? Il faut : avant de vous coucher, réciter trois fois la formule qui va suivre ; après quoi vous la mettrez sous votre oreiller, écrite sur un parchemin vierge ; et pendant votre sommeil le génie de votre planète viendra vous dire l’heure où vous devez prendre votre billet, et vous révéler en songe les numéros. Voici la formule : « Seigneur, montrez-moi donc un mort mangeant de bonnes viandes, un beau pommier ou de l’eau courante, tous bons signes ; et envoyez-moi les anges Uriel, Rubiel ou Barachiel, qui m’instruisent des nombres que je dois prendre pour gagner ; par celui qui viendra juger les vivants et les morts et le siècle par le feu. » Dites alors trois Pater et trois Ave pour les âmes du purgatoire…

Loudun, ville de France dans le département de la Vienne, célèbre par une possession qui fit grand bruit dans le premier tiers du dix-septième siècle. Un couvent d’ursulines, qui s’occupaient de l’éducation des jeunes filles, avait été établi à Loudun en 1626. Il était tenu par quatorze religieuses, toutes de bonnes et honnêtes familles et toutes d’une vie irréprochable. Il y avait en même temps dans Loudun un prêtre nommé Urbain Grandier, d’une conduite si légère que l’évêque de Poitiers l’avait interdit a divinis le 3 janvier 1630. On savait qu’il faisait des chansons, des pamphlets et qu’il écrivait contre le célibat des prêtres. Peu après la sentence de l’évêque qui devait le ramener à des mœurs plus recueillies, le directeur des ursulines étant mort, Grandier osa se présenter pour le remplacer. La supérieure le refusa. Bientôt des phénomènes singuliers se produisirent dans le couvent : les quatorze religieuses se trouvèrent possédées ; et, chose surprenante, toutes voyaient la nuit Grandier, pour qui elles ressentaient une grande répulsion, se présenter à elles et les pousser à mal faire. Ce fut un grand bruit dans la ville ; les parents avaient retiré leurs enfants, et les ursulines vivaient dans une épouvante, dans des crises et des convulsions contre lesquelles les médecins ne pouvaient rien. Un conseiller du roi Louis XIII fut envoyé à Loudun pour connaître de ce mystère ; on exorcisa les religieuses, et les mauvais esprits qui les possédaient, contraints par les conjurations ecclésiastiques, déclarèrent que c’était Grandier qui les avait envoyés et les retenait dans les corps de ces femmes.

Une grande affluence de curieux et de savants assistait aux exorcismes. On parlait à ces simples filles en latin, en grec, en hébreu, en turc et dans d’autres idiomes de l’ancien et du nouveau monde. Elles comprenaient tout et répondaient à tout si exactement qu’un savant s’écria : « Il faudrait être fou ou athée pour nier ici la possession, » et que plusieurs hérétiques, entre autres lord Montagu, plusieurs hommes dissolus, entre autres Kériolet, se convertirent publiquement.

Un éminent écrivain du diocèse de Poitiers, M. l’abbé Leriche, a publié tout récemment, en un livre plein d’intérêt[1], l’histoire de cette possession, et ses preuves mettent à néant les pasquinades du protestant Saint-Aubin et des autres esprits avariés qui ont voulu ne pas voir. Nous emprunterons à ce livre quelques renseignements utiles. Voici les noms des religieuses : madame de Belciel, fille du baron de Cose en Saintonge, en religion sœur Jeanne des Anges, supérieure ; madame de Zazilli, en religion sœur Claire de Saint-Jean ; madame de la Motte, fille du marquis de la Motte-Baracé, en religion sœur Agnès de Saint-Jean ; les deux dames de Barbeziers, en religion sœur Louise de Jésus et sœur Catherine de la Présentation, toutes deux de l’illustre maison de Nogeret ; madame d’Escoubleau de Sourdis, en religion sœur Jeanne du Saint-Esprit ; trois autres dont les noms de famille ne sont pas connus, sœur Élisabeth de la Croix, sœur Monique de Sainte-Marthe et sœur Séraphique Archer, enfin huit sœurs laies, en tout dix-sept religieuses.

S’intéressaient, présents aux exorcismes, excepté le cardinal de Richelieu : l’évêque de Poitiers, l’archevêque de Tours, l’archevêque de Toulouse, l’évêque de Nîmes, huit prêtres pieux et savants, cinq docteurs de Sorbonne, onze pères de la compagnie de Jésus, deux pères car-

  1. Etudes sur les possessions en général et sur celle de Loudun en particulier, 1 vol. in-4 2, précédé d’une lettre du P. Ventura. Paris, 4 859, chez Henri Pion, éditeur.