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APPENDICE.


demanda quarante piastres d’Espagne et le serment sur le Koran de ne révéler ce secret à personne. La somme fut réduite à trente piastres ; et, le serment fait ou plutôt chanté, il fit monter son petit garçon et prépara, pendant que nous fumions, tous les ingrédients nécessaires à son opération. Après avoir coupé dans un grand rouleau un petit morceau de papier, il traça dessus les signes à dessiner dans la main et les lettres qui y ont rapport ; puis, après un moment d’hésitation, il me le donna. — J’écrivis la prière que voici sous sa dictée : « Anzilou-Aiouha el-Djenni-Aiouhael-Djennoun-Anzilou-Betakki-Matalahoutouhou-Aleikoum-Taricki, Anzilou, Taricki. » — Les trois parfums sont : « Takeh — Mabachi. — Ambar-Indi. — Kousombra-Djaou. » — L’Algérien opéra sur son enfant devant moi. Ce petit garçon en avait une telle habitude que les apparitions se succédaient sans difficulté. Il nous raconta des choses fort extraordinaires, et dans lesquelles on remarquait une originalité qui ôtait toute crainte de supercherie. — J’opérai le lendemain devant Achmed avec beaucoup de succès, et avec toute l’émotion que peut donner le pouvoir étrange qu’il venait de me communiquer. À Alexandrie Je fis de nouvelles expériences, pensant bien qu’à, cette distance je ne pourrais avoir de doute sur l’absence d’intelligence entre le magicien et les enfants que j’employais, et, pour en être encore plus sûr, je les allais chercher dans les quartiers les plus reculés ou sur les routes, au moment où ils arrivaient de la campagne. J’obtins des révélations surprenantes qui toutes avaient un caractère d’originalité encore plus extraordinaire que l’eût été celui d’une vérité abstraite. Une fois entre autres, je fis apparaître lord Prudhoe, qui était au Caire, et l’enfant, dans la description de son costume, se mit à dire : « Tiens, c’est fort drôle, il a un sabre d’argent. » Or, lord Prudhoe était le seul peut-être en Égypte qui portât un sabre avec un fourreau de ce métal. — De retour au Caire, je sus qu’on parlait déjà de ma science, et un matin, à mon grand étonnement, les domestiques de M. Msarra, drogman du consulat de France, vinrent chez moi pour me prier de leur faire retrouver un manteau qui avait été volé à l’un d’eux. Je ne commençai cette opération qu’avec une certaine crainte. J’étais aussi inquiet des réponses de l’enfant que les Arabes qui attendaient le recouvrement de leur bien. Pour comble de malheur, le caouas ne voulait pas paraître malgré force parfums que je précipitais dans le feu, et les violentes aspirations de mes invocations aux génies les plus favorables ; enfin il arriva, et après les préliminaires nécessaires, nous évoquâmes le voleur. Il parut. — Il fallait voir les têtes tendues, les bouches ouvertes, les yeux fixes de mes spectateurs, attendant la réponse de l’oracle, qui en effet nous donna une description de sa figure, de son turban, de sa barbe : « C’est Ibrahim, oui, c’est lui, bien sur ! » s’écria-t-on de tous côtés, et je vis que je n’avais plus qu’à appuyer mes pouces sur les yeux de mon patient ; car ils m’avaient tous quittés pour courir après Ibrahim. Je souhaite qu’il ait été coupable ; car j’ai entendu vaguement parler de quelques coups de bâton qu’il reçut à cette occasion.

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Dans ce dédale d’erreurs et d’illusions dont nous venons de rassembler les bizarres tableaux, on ne perdra pas de vue ce grand fait, — que tout ce qui est faux et monstrueux a été le fruit des égarements de l’esprit humain ; que ces égarements n’ont pu être produits que par les illusions d’une fausse philosophie qui a continué de répandre ses erreurs sous des masques divers. Mais il est une lumière qui brille au milieu de toutes ces ténèbres, quoique plusieurs ferment les yeux pour ne la point voir : — Lux in tenebris lucet, et tenebræ eam non comprehenderunt. — Cette vraie lumière n’est jamais entière que dans l’Église catholique, centre de la vérité et de la liberté, — où Dieu nous maintienne !


FIN.