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peuvent compter sur lui. Mais s’il sait faire la guerre de rues, il en sait faire une autre. La canonnade de la rue Saint-Honoré, c’est un incident qui lui a mis le pied à l’étrier. Il a son idée, il la poursuit. C’est toujours la même, la guerre d’Italie. Il connaît le pays, il connaît le terrain. S’il peut appliquer quelque part sa conception de la guerre, c’est là. Le commandement de cette armée, il le désire. Il le demande comme la récompense du service qu’il a rendu à la République en la sauvant. Ce salaire, depuis la fin d’octobre, il travaille à l’obtenir des Directeurs, et il y a mis autant d’acharnement que de subtile patience. Ambitieux, il l’est, mais souple, persuasif, nullement arrogant. Il y a encore tant d’hommes, fussent-ils médiocres, au-dessus de lui !

Si, parmi les Directeurs, Barras, qui n’avait rien à refuser à Joséphine, était acquis, tout dépendait de Carnot. Les affaires militaires, dans ce gouvernement, revenaient de droit à l’« organisateur de la victoire » qui voyait chaque jour le général en chef de l’armée de l’intérieur. Et, presque chaque jour, après les questions de service, Bonaparte parlait de l’Italie, faisait apprécier ses « connaissances positives ». Carnot, qui le connaissait depuis Toulon, qui savait ce qu’il avait fait à Saorge et à Cairo, qui l'avait vu à l’œuvre au bureau topographique et qui l’appelait son « petit capitaine », l’écoutait volontiers, bien qu’il fut froid de son naturel et assez méfiant. Un jour que Scherer, qui commandait l’armée d’Italie, avait envoyé de mauvaises nouvelles, Bonaparte s’écria : « Si j’étais là, les Autrichiens seraient bientôt culbutés. — Vous irez », dit Carnot. Alors, adroitement, Bonaparte joua la modestie, présenta les objections qu’on pouvait lui adresser, sa jeunesse surtout. Puis, redevenant lui-même : « Soyez tranquille, dit-il au Directeur, je suis sûr de mon affaire. » Carnot-Feulins aurait mis son frère en garde contre le jeune général corse, « aventurier dont l’ambition jetterait le trouble dans la Répu-