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NAPOLÉON

ne regrette point mes grandeurs. Vous me voyez faiblement sensible à ce que j’ai perdu. » Il est probable que c’était vrai ce jour‑là. Mais il disait aussi : « Ah ! c’était bon alors ; je distribuais des places », et c’est trop humain pour qu’on n’en croie pas Gourgaud. Quand on apprend à Sainte-Hélène la condamnation et l’exécution de Ney, l’empereur, selon Montholon, déclare que c’est un crime, que les juges se sont tachés d’un sang sacré pour la France, que le brave des braves n’avait pas trahi, que Louis XVIII s’est déshonoré. Selon Gourgaud, « Ney n’a eu que ce qu’il méritait ». Comme Murat, « une pauvre tête… L’homme le plus lâche dans la défaite… c’est lui qui est cause que nous sommes ici. » Napoléon vide son cœur devant Gourgaud. D’après Las Cases, il s’est contenté, incapable de rancune, de dire que son beau‑frère avait fait bien du mal.

S’agit-il de doctrine ? Les opinions de l’empereur ne sont pas moins variables. Le programme officiel de Sainte‑Hélène, c’est l’Empire démocratique et libéral, teinté d’esprit républicain. Mais Napoléon dira aussi que l’autorité est le plus grand des bienfaits, que les assemblées délibérantes sont un fléau, que Louis XVIII s’en apercevra, que les cours prévôtales et les exécutions valent mieux que la Charte pour consolider son trône. L’Acte additionnel est invoqué comme la preuve que l’empereur n’aspirait pas à la dictature. Mais à Gourgaud : « Mon intention était d’envoyer promener les Chambres, une fois que je me serais vu vainqueur et hors d’affaire. » Et de tout ainsi. Il affirmait l’existence d’un Dieu. Réprouvait‑on devant lui l’athéisme, il répondait que les hommes les plus savants de l’Institut étaient athées. Il croyait à l’immortalité de l’âme, et d’autres fois il soutenait que l’anatomie ne montrait pas de différence entre l’homme et le veau. Rien n’empêche d’ailleurs de penser qu’avec Gourgaud, lui-même assez cynique, il ait parlé à cœur ouvert, ré-