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NAPOLÉON

poléon II, soit enfin dans l’intérêt de sa gloire, jamais il ne serait assez martyrisé. Deux mots de lui éclairent son dessein : « L’adversité manquait à ma carrière », et : « Mon fils, si je meurs sur la croix et qu’il vive, il arrivera. »

Avec le martyre, son arme, c’est la parole, l’imprimé, le livre. Écrire « les grandes choses que nous avons faites ensemble », il l’avait promis. C’était l’occupation qu’il se réservait pour ce « lieu perdu » Déjà, pendant la traversée, il a commencé de dicter ses Mémoires, comme Las Cases de tenir son journal. Sainte-Hélène devint un centre actif, une usine de production littéraire, et l’empereur lui‑même encourageait tout le monde à remplir des cahiers. Il disait à ses compagnons qu’ils avaient là un moyen de faire fortune et il ne trompait pas. Las Cases avait la plume la plus habile, et le Mémorial eut un immense succès. Tout en eut. Vrai ou faux, ce qui venait de Sainte‑Hélène était dévoré à Paris et en Europe.

Lui‑même homme de lettres, Napoléon avait très bien compris qu’il avait l’occasion de composer sa propre histoire et par conséquent de lui imprimer le caractère qu’il voulait. Non seulement, comme la plupart des auteurs de Mémoires, il a présenté sa propre apologie, mais encore, racontant le passé avec un esprit mûri et l’expérience des hommes, il a donné à son récit un tour propre à agir sur les imaginations et qui a fixé les faits dans une forme malaisément révocable. Il a donné à sa vie, à son règne, à ses guerres, un certain ton. Il a même refait ses mots historiques. Il les a écrits tels qu’il aurait dû les prononcer, et depuis, on les a répétés comme il les a écrits. C’est un auteur qui corrige ses œuvres de jeunesse quand il est dans la force de son style. Ainsi il a contribué pour une large part à mettre sur son histoire la note épique, ce qui, pour lui, comptait encore plus que ses plaidoyers. Le souci qu’il a eu de se laver des reproches ou de rejeter les fautes