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D’ailleurs si, désormais, il ne pensa plus qu’à peine à la Corse, s’il tint les cousins à distance, la Corse fut longue à prendre au sérieux ce petit Bonaparte et les siens qu’elle avait vus faméliques et fugitifs. Elle donna une grosse proportion de « non » au plébiscite du consulat à vie. Miot de Melito, qui administrait l’île à ce moment-là, note que « si tous les départements de la France eussent été animés du même esprit que ceux du Golo et du Liamone, la rapide élévation de Bonaparte eût peut-être rencontré plus d’obstacles ».

Mais son échec d’Ajaccio était une délivrance. Le sortilège est fini et son île s’est chargée de le rompre elle-même. Elle a encore soulagé Bonaparte de la rêverie sentimentale et littéraire qui a occupé sa première jeunesse. Jean-Jacques, Raynal, l’idéologie, le « roman de la Révolution », c’est à tout cela, en même temps qu’à Paoli, que, sans le savoir, il a dit adieu. Il ne croit plus à la bonté de la nature humaine. Peut-être n’avait--il pas besoin de cette épreuve pour se durcir, mais il s’est bien durci. Son style même a changé, s’est fait nerf. Bonaparte a franchi l’âge du sentiment. Il a dépouillé le jeune homme.