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NAPOLÉON

n’avait pas la plume facile, ils ont tenu leur journal, griffonné des Mémoires, au moins quelques souvenirs. Marchand, le premier valet de chambre, avait aussi ses carnets et, faute de mieux, Saint-Denis, le second valet de chambre, servait de copiste. On savait bien qu’on entrait dans l’immortalité et Napoléon n’ignorait pas qu’autour de lui on prenait des notes. Il s’était servi de Las Cases, le plus habile à rédiger, doué d’un certain talent dans le genre sensible et déclamateur, pour répandre ce qu’il voulait qu’on crût. Las Cases en ajouta de sa façon. C’est de cette sorte de collaboration qu’est sorti le Mémorial de Sainte-Hélène, livre admirablement fait pour émouvoir et pour attendrir. Napoléon promettait à Las Cases qu’il en tirerait beaucoup d’argent. Combien le Mémorial a rapporté plus de gloire à l’empereur !

L’abondance de cette littérature de l’exil, à laquelle Napoléon lui‑même s’est probablement associé par les Lettres du Cap insérées dans la Correspondance, ne sert pas toujours la connaissance de la vérité. Il arrive que les récits de la captivité ne concordent pas. Il en est dont l’inexactitude est manifeste. Celui d’O’Meara est un agréable roman. Antommarchi, effronté, raconte ce qu’il n’a ni vu ni entendu, Napoléon l’ayant eu en horreur et tenu à l’écart. Mais deux choses sont notées par Lord Rosebery avec beaucoup de finesse. D’abord que les récits publiés les premiers sont les moins dignes de foi. La véracité de Montholon, de qui les Mémoires ont paru en 1847, est plus grande que celle de Las Cases dont le Mémorial a été publié en 1823. Quant à Gourgaud, dont le journal n’a vu le jour qu’en 1898, c’est l’homme qui dit tout. Cependant, Las Cases est parti de Sainte‑ Hélène en novembre 1816, expulsé par les autorités pour avoir tenté de correspondre avec l’Europe et, peut‑être, secrètement désireux de rentrer. Gourgaud, brouillé ou affectant d’être brouillé avec Napoléon, s’en va à son tour,