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LE MARTYRE

dèles de l’exil forment une petite colonie portée à s’aigrir, un milieu favorable à l’exagération de sujets de plainte. Il y a Montholon et sa femme, le dévouement même, lui très vieille France, « mondain correct et bienveillant », elle, qui sera la consolatrice de l’empereur. Quand elle quittera l’île, on le verra pleurer. Las Cases est un ancien émigré devenu un fervent du culte napoléonien, un gentilhomme doublé d’un homme de lettres actif et adroit. C’est le « biographe idéal » et le compagnon préféré de l’empereur, celui avec lequel on peut parler de littérature. Il semble bien, pourtant, que Las Cases, qui conciliait l’attachement avec la publicité et la réclame, soit parti après avoir achevé sa moisson et réuni les éléments de son livre. Gourgaud, ancien artilleur, aide de camp de l’empereur depuis 1811, s’est rallié à Louis XVIII pendant la première Restauration, puis il est revenu aux Cent‑Jours ; un « brave jeune homme », qui a son franc‑parler, mais jaloux, d’un caractère détestable et qui provoquera Montholon en duel. Sa manie est de rappeler à Napoléon, qui ne s’en souvient plus, qu’en 1814, à Brienne, il lui a sauvé la vie. Bertrand, qui a déjà été « grand maréchal du palais » à l’île d’Elbe, est un ancien officier du génie, militaire avant tout, dévoué à l’empereur et craintif devant sa femme. Telle est la cour, aussi féconde en jalousie et en intrigues que si elle était aux Tuileries. Piontkowski, un capitaine polonais, viendra encore. Au-dessous, le premier valet de chambre, Marchand, et les domestiques. Il y a aussi le médecin irlandais O’Meara, auquel succédera le Corse Antommarchi, choix fâcheux de l’oncle Fesch, et qui arrivera pour la fin, avec deux prêtres médiocres, ce qui fera dire à l’empereur : « Ma famille ne m’envoie que des brutes. »

Ces serviteurs de l’adversité, qui se sont condamnés eux-mêmes à la déportation, forment le chœur de la tragédie. Tous, sauf Bertrand, qui