Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/564

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
559
LE MARTYRE

sible, avec des consignes sévères, et l’on organisait le silence sur le captif. Quant à Napoléon, il ne gardait qu’un droit, mais précieux, celui de se plaindre. Il s’était rendu sans conditions, confié à la générosité du peuple anglais qui lui faisait subir un traitement inhumain. Il devenait une victime. Son système fut de juger selon les lois de l’hospitalité les mesures qui étaient prises contre lui selon les règles de la surveillance. L’esprit mesquin de ses geôliers fit le reste. Une des occupations du prisonnier de Sainte-Hélène fut de noter leurs fautes contre la bienséance, d’outrer ses griefs et de prendre le monde et la postérité à témoin de la cruauté de ses bourreaux et des outrages dont ils l’abreuvaient.

D’ailleurs, toute espérance ne l’avait pas abandonné. Il ne s’adressait pas seulement aux générations futures. Son nom seul représentait une force d’opinion. La solitude lointaine où on l’enfermait attestait qu’il continuait à faire peur. C’est-à-dire qu’il comptait toujours. Il ne songeait nullement à s’évader, sachant que l’évasion, presque impossible, n’offrait pas de chance de succès. Et puis, qu’eût-il fait ? Où fût-il allé ? Mais des événements pouvaient se produire, un changement de règne ou de majorité on Angleterre, une révolution en France, une grande guerre en Europe. Il n’était pas inutile d’entretenir l’intérêt et d’exciter la pitié. Et s’il ne devait jamais sortir de cette prison, comme ce serait bien, devant l’histoire, quel prestige vaudrait au nom de Napoléon cette longue infortune ! Il serait excessif de dire que l’empereur déchu la prenait toujours par le bon côté. Parfois il comparait son sort à celui de Ferdinand VII à Valençay et il laissait entendre qu’il n’en demanderait pas davantage à Louis XVIII. Résigné ou non, il a tiré de sa captivité le parti qu’elle lui offrait. On ajoutera même avec admiration, non avec ironie, qu’il a été égal à cette situation comme aux autres, et, tout compte tenu de quelques impatiences, de quelques faiblesses,