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NAPOLÉON

lois, que je réclame de Votre Altesse Royale comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis. » Le 15 juillet au matin, il monta sur le brick L’Épervier, vêtu, cette fois, non du costume impérial qu’il avait porté au théâtre du Champ de Mai pour une pièce sifflée, mais de l’habit vert des chasseurs de la garde, avec les attributs légendaires, la Légion d’honneur, l’épée au côté, le petit chapeau. Les adieux de Napoléon à la France sous le soleil qui se lève, près du drapeau tricolore, les matelots pleurant, un dernier cri de « Vive l’Empereur !… » Que tout cela est bien fait, bien groupé, bien peint ! Et comme c’est bien dit quand au général Beker, qui lui demande s’il doit l’accompagner jusqu’au Bellérophon, il répond en quelques phrases qu’il suffira de resserrer pour en taire ce mot historique : « Non, général. Il ne faut pas qu’on puisse dire que la France m’a livré aux Anglais. » Un acteur, mais qui ne travaille que dans le genre élevé.

Le capitaine Maitland vit arriver à son bord un homme corpulent, petit pied, jolie main, les yeux gris pâle. Celui qui avait fait trembler l’Europe était sa capture, désormais un prisonnier à vie. Les Anglais l’observaient curieusement. L’un d’eux écrit qu’il avait « plutôt la mine d’un gros moine espagnol ou portugais que du héros des temps modernes ». On le trouva lourd, enclin au sommeil, variable dans son humeur, tantôt de peu d’énergie morale, tantôt prouvant son empire sur lui‑même. Ses compagnons faisaient des scènes, du drame, des querelles. Le jour où la déportation à Sainte-Hélène fut notifiée, le visage de Napoléon ne s’altéra pas, ému seulement au départ de ceux qui ne pouvaient le suivre en exil. Tout de suite il a compris son rôle, il y est entré. Désormais il est une victime, et, contre le gouvernement britannique qui a trahi la confiance du vaincu, il lance une protestation aux rois, aux peuples, à l’univers. À Plymouth, il a vu la rade