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NAPOLÉON

Unis qu’on lui conseille ? Une fin triviale, une retraite bourgeoise. Il lui faut un dernier acte digne du reste, un épilogue qui ne soit pas une sortie manquée. L’intérêt supérieur de sa destinée, le sens artistique de sa gloire, l’instinct du grand, le poussaient, pour que son « roman » s’achevât en haute tragédie, à se livrer à l’Angleterre. Demander asile à son beau-père, écrire à l’empereur Alexandre, il l’avait refusé. Dès le 24 juin, il avait dit à Caulaincourt : « Pour l’Autriche, jamais. Ils m’ont touché au cœur en gardant ma femme et mon fils. Pour la Russie, c’est se donner à un homme. Pour l’Angleterre, au moins, ce sera se donner à une nation. » Un mot. La chose était celle qu’il devait faire. Elle avait un tour historique qui le fascinait. Se livrer à son ennemi, comme Thémistocle, dont il prononçait le nom dans une rêverie, un peu avant Waterloo, idée grande et belle, vision de légende conçue par l’homme de lettres qu’il y avait en lui. Sans doute il en mesurait les risques. Un moment encore, le regret de tout quitter en quittant la France, l’attente d’un événement miraculeux, le désir de rester libre, l’appréhension du sort qui lui était réservé, luttaient, comme le corps lutte avec l’esprit, contre le choix qu’il avait déjà décidé.

Il passa quatre jours à Rochefort, toujours apathique, « dans un état de perplexité et d’inaction ». Il écoutait ceux qui lui proposaient le moyen de le transporter en Amérique en échappant à la surveillance des navires anglais. Tous ces projets, qu’il rejetait ou dont il renvoyait l’exécution au lendemain, ne servaient qu’à entretenir son irrésolution. Il fallut quitter Rochefort sur les injonctions venues de Paris. Fouché, le gouvernement provisoire étaient anxieux de le savoir parti. Louis XVIII plus encore. Poussé par les épaules, Napoléon se rendit à l’île d’Aix, pour y perdre d’autres jours. Vainement, Joseph, venu auprès de lui, le supplie de prendre un parti, de le suivre à Bordeaux et de s’embarquer à