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MORNE PLAINE

faible devant les hommes, facilement effrayé par les résistances, il a moins que jamais l’énergie de courir un risque politique. La Valette le trouve incapable de dire autre chose que des « Ah ! mon Dieu ! » en levant les yeux au ciel avec un rire épileptique effrayant. Henry Houssaye le peint au soir de ce 21 juin, avec la ressemblance exacte de son caractère accusé par le désordre où la catastrophe le jetait : « Sa pensée flottante semblait incapable de se fixer pour prendre une décision quelconque ; tantôt il se déclarait prêt à user de ses droits constitutionnels contre la Chambre insurgée, tantôt il parlait d’en finir tout de suite par une seconde abdication. » Le lendemain il s’y laissa conduire, après quelques velléités de dissoudre les Chambres, d’en appeler à l’armée, au peuple, aux fédérés. C’eût été se mettre à la tête d’une révolution, entrer dans l’anarchie. « Les souvenirs de ma jeunesse m’effrayèrent », avouait‑il.

Il resta inerte. Dans la journée du 22, les représentants lui donnèrent une heure pour se décider. Afin d’éviter la déchéance pure et simple, de préserver au moins son caractère de souverain et le principe de sa dynastie, il se résigna.

Il abdiquait. Dans quelles conditions ! Tout était pire que l’année d’avant à Fontainebleau, où il traitait encore de puissance à puissance avec les souverains alliés, stipulant le lieu de sa retraite, une souveraineté, une pension. Maintenant, il est seul et nu. Il n’a, pour le protéger, ni son beau‑père, ni Alexandre. Les ouvriers, les soldats qui l’acclament le compromettent. Le gouvernement provisoire est impatient de son départ, et personne ne s’intéresse à son sort. Napoléon renonce au trône en faveur de son fils, et il est le premier à savoir que Napoléon II ne régnera pas, que tout est fini. Plus même d’adieux à l’armée ni de drapeaux qu’on embrasse. Tout se passe en ordres du jour, votes, échanges de vues dans les commissions. À cette procédure, il voulut du moins donner un accent, le ton noble.