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EMPEREUR ET AVENTURIER

vaise, hostile aux levées d’hommes, montée contre la conscription, et, si le territoire était envahi, il croyait plus à une décomposition générale qu’à un sursaut d’énergie. « Ma politique veut un coup d’éclat », répondit-il à Carnot.

Il avait pensé à entrer en Belgique dès le début de mai, à agir par surprise, à prévenir les Anglais et les Prussiens. Les ordres sont donnés, puis il contremande tout, soit qu’il compte sur les renseignements qui lui disent que l’ennemi ne sera pas prêt avant le mois de juillet et qu’il ne se trouve pas assez prêt lui-même ; soit qu’il ne veuille pas prendre le rôle d’agresseur et qu’il revienne à l’espoir d’un accord avec la cour de Vienne, peut-être même avec la Russie ; soit encore qu’il veuille tenir ses promesses de Lyon, écarter tout soupçon de dictature et attendre l’approbation des assemblées ; soit enfin, comme certains l’ont pensé, parce qu’il est mal portant, souffrant d’incommodités qui lui rendent pénible de se tenir longtemps à cheval. Peut-être appréhendait-il de recommencer la guerre. Le fait est qu’il part seulement après le Champ de Mai et l’ouverture des Chambres. Mettant fin à ses hésitations, il se décide soudain et rejoint l’armée en laissant derrière lui un Parlement dont les mauvaises dispositions ne sont pas douteuses. Les pairs (car il a fait aussi une pairie, comme Louis XVIII), et les représentants l’ont mis en garde contre les « séductions de la victoire ». On craint que, victorieux, il ne revienne en despote et il a répondu avec ironie : « L’entraînement de la prospérité n’est pas ce qui nous menace. »

Il quitte Paris le 11 juin, de grand matin. La veille, pour la dernière fois, il a entendu la messe aux Tuileries, donné ses audiences, été empereur. On l’observait anxieusement. Qu’on le trouve changé ! Ce n’est plus le regard puissant, le profil d’airain, le port de tête dominateur, mais un teint « verdâtre » une démarche lourde, des « gestes incertains », un ensemble affaissé. Le soir, il a dîné en famille, pres-