Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
536
NAPOLÉON

pour ne pas déposer les armes avant d’avoir renversé l’ennemi du repos public. Aux puissances réunies à Vienne, il a été facile de se concerter, et Napoléon regrettait de n’avoir pas attendu la fin du Congrès pour quitter l’île d’Elbe, oubliant qu’il en était parti, entre autres raisons, parce qu’il avait craint que le Congrès ne l’enfermât ailleurs. Quant à Marie-Louise, elle lui fit savoir qu’elle n’était plus libre. La fille avait abdiqué entre les mains de son père. La femme était au pouvoir de son consolateur.

L’impératrice qui ne revient pas ; le prince impérial (car Napoléon abandonne le titre de roi de Rome pour attester encore sa modération), qui reste prisonnier ; la guerre certaine ; une Constitution qui est la « Charte améliorée » mais qui, ressemblant trop à la Charte de Louis XVIII, n’est pas assez républicaine pour les hommes de la Révolution, tandis qu’elle diminue l’autorité de l’empereur devant le péril ; « des cris de liberté, quand il n’eût fallu songer qu’à la défense », tout est déception. Personne ne croit à la durée du règne restauré par miracle, et Bonaparte, qui a jugé tout de suite l’état de la France, moins que les autres. « L’inquiétude, la crainte, le mécontentement, étaient les sentiments prédominants, aucun attachement, aucune affection pour le gouvernement ne se montraient. » Ce qu’en dit Miot se retrouve chez tous les témoins, comme tous, en observant Napoléon, ont relevé les marques d’un esprit soucieux et sans confiance, d’un moral mauvais, « avec quelque chose de gêné et d’incertain qui ne faisait pas bien augurer de l’avenir ». Lui-même en augure mal, et il se déplaît dans une situation plus précaire que toutes celles dont il a déjà senti la fragilité. L’arrivée de Lucien n’éveille que des idées de décadence et de malheur. L’empereur attendait Marie-Louise, la fille des Césars, sa garantie près des rois, jupon bouclier, et il ne voit venir que le frère mésallié et républicain, prêt à lui