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CHAPITRE XXIV

EMPEREUR ET AVENTURIER


Napoléon a passé dix mois de sa vie à l’île d’Elbe. Avec l’intention d’y rester ? D’en sortir ? Qu’en savait-il ? Comme toujours, il s’en remettait aux circonstances. Il prenait avec philosophie le nouveau caprice de la fortune qui le rendait souverain d’un royaume long de six lieues, En face de cette Corse où il était né, il retrouvait une petite ville qui lui rappelait Ajaccio et Bastia. Il n’était pas tellement dépaysé. On le vit passer sans effort « des rois et des reines qui se pressaient autour de lui à Erfurt aux boulangers et aux marchands d’huile qui dansaient dans sa grange à Porto-Ferrajo ». À ce raccourci, on reconnaît Chateaubriand.

L’empereur n’avait pas menti, il ne s’était pas vanté, lorsqu’il avait dit qu’il ne tenait pas aux grandeurs et qu’il ne lui en fallait pas tant. Rassasié de tout, principalement des hommes, que lui importe de vivre là ou ailleurs ? Il est fâcheux seulement qu’il soit si jeune, si loin de l’âge de la retraite, avec cette habitude et ce besoin de s’occuper qu’il n’a pas encore perdus. Il soupire : « Mon île est bien petite », une fois qu’il l’a explorée et qu’il a donné des ordres pour construire des résidences et des fortifications, percer des routes, améliorer les mines, réformer les finances et l’administration, de son État. Le style même n’a pas changé. Les lettres sont impérieuses, aussi pressées qu’hier, quand il gouvernait le grand Empire. Ce n’est pas