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LES BOTTES DE 1793

dernier soin en vue de la lutte, ne cessant jamais de faire comme si le succès était certain, ne négligeant rien pour l’obtenir et portant sur sa propre situation un regard aussi froid que s’il jugeait celle d’un autre. Les conséquences, il les tire. Il liquide les plus mauvaises de ses affaires, il s’allège comme un spéculateur mal engagé. Ce qu’il garde, en guise de compensations pour le jour où l’on négociera, ce sont les places de l’Elbe et l’Italie. Mais le pape est renvoyé à Rome, Ferdinand VII en Espagne. Napoléon se délivre du boulet espagnol qu’il traîne depuis cinq ans, sans même consulter Joseph qui l’impatiente maintenant plus que ses autres frères : « Aîné, lui ? Pour la vigne de notre père, sans doute ! » Bien que l’Autriche reste pour lui un espoir, la belle‑famille n’est pas mieux traitée que la famille. Hortense raconte un dîner intime, où l’empereur, voyant tout le monde consterné parce qu’on vient d’apprendre que les Alliés ont passé le Rhin, dit avec une étrange gaieté à Marie-Louise : « Nous n’avons pas oublié notre métier. Sois tranquille, nous irons encore à Vienne battre papa François. » Au dessert, on amène le roi de Rome et l’empereur, riant de tout son cœur, fait redire à l’enfant : « Allons battre papa François. » Mollien lui propose de mettre le Trésor en sûreté de l’autre côté de la Loire. Il lui frappe sur l’épaule, ironique et familier : « Mon cher, si les Cosaques viennent devant Paris, il n’y a plus ni Empire ni empereur. » Et à Lavalette, au moment où il va rejoindre l’armée, ce mot aigu : « Si je viens à être tué, ma succession ne sera pas dévolue au roi de Rome. Au point où les choses sont venues, il n’y a qu’un Bourbon qui me puisse succéder. »

Le 25 janvier au matin, il quitte Paris. Il a brûlé ses papiers les plus secrets et, pour la dernière fois, embrassé sa femme et son fils. Jamais il ne les reverra. Il laisse les choses en ordre et en règle, il accomplit consciencieusement et sans confiance