Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
495
LE REFLUX ET LA DÉBÂCLE

vant tout le monde à plusieurs reprises. Est-il dupe ? Ferme‑t‑il volontairement les yeux ? Tant de paroles sont devenues inutiles et tant de choses sont consommées !

Le 2 novembre, Napoléon est à Mayence. L’Allemagne est évacuée, sauf les garnisons qui restent au Nord et qui sont destinées à servir de monnaie d’échange, s’il peut y avoir, désormais, des négociations entre parties égales. Une armée qui, dans la même année, a été ramenée du Niémen derrière le Rhin, l’ennemi ne voudra-t-il pas la repousser plus loin encore ? Tout ce que Napoléon semble alors espérer, ce sont des délais, c’est que les Alliés n’oseront pas engager une campagne d’hiver. Toutefois il n’est pas aveugle à la catastrophe, à ce que signifie l’Allemagne perdue, l’Italie envahie par les Autrichiens. Il regarde froidement le destin qui se prononce. « Je suis fâché de ne pas être à Paris », écrit‑il de Mayence à Cambacérès, « on m’y verrait plus tranquille et plus calme que dans aucune circonstance de ma vie. »

Avec la catastrophe, c’est la véritable figure de Napoléon qui apparaît. Il est l’homme qui comprend sa propre histoire, qui la domine, qui l’embrasse d’un coup d’œil. Il sait qu’il revient aux origines de ces guerres qui, depuis 1792, ne sont qu’une seule et même guerre, que la France retourne elle‑même au point où elle l’a pris pour le charger d’une tâche impossible. Il sait qu’il en arrive, après tant d’efforts de toute sorte, à ce qui ne pouvait être évité. Daru, disant qu’il avait eu, plus que personne peut‑être, le moyen de pénétrer dans la pensée de Napoléon, ajoutait : « Je n’y ai jamais aperçu la moindre préoccupation d’élever un édifice impérissable. » Ou plutôt il sait que tout cela était éphémère et devait périr. Il tient peu à l’existence, à son trône encore moins, au plaisir du pouvoir, à ses palais, à l’argent, pas du tout. Avec quelle pitié il regarde ses frères qui s’attachent à des titres vides,