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NAPOLÉON

laissait hors de ses calculs. Il venait encore d’en faire l’aveu dans sa conversation des Tuileries avec Barante et Fontanes : « Je suis l’œuvre des circonstances. » L’œuvre d’abord, maintenant l’esclave, et il obéit aux circonstances avec une résignation encore plus fatiguée que fataliste. Marmont, pendant la campagne de 1813, découvrira chez lui ce que d’autres avaient tant de fois discerné, « une confiance capricieuse, une irrésolution interminable, une mobilité qui ressemblait à de la faiblesse ». Dans la dernière phase, ce penchant à l’incertitude s’aggrave avec la portée de chacune des décisions qu’il faut prendre à chaque heure de la journée.

La Prusse a déclaré la guerre, envahi la Saxe. C’est la situation de 1806 qui se reproduit. Deux jours avant de rejoindre l’armée d’Allemagne, Napoléon reçoit Schwarzenberg, celui qui bientôt sera général en chef des coalisés, et lui demande son concours contre les Russes, de même qu’il attendait, en 1809, le concours des Russes contre l’Autriche. Dès ce moment, Metternich et François II sont résolus à passer du côté de la coalition, mais en y mettant des formes, en prenant un masque. Une savante politique commence, une politique d’illusions et de tromperie, dont Napoléon lui-même ne perce pas tous les secrets et qui a longtemps abusé. Après sa première victoire, à Lutzen, il écrit à son beau-père : « Connaissant l’intérêt que Votre Majesté prend à tout ce qui m’arrive d’heureux… » Même si l’alliance autrichienne n’est plus qu’un faux semblant, il en prolongera la fiction comme il a prolongé celle de l’alliance russe.

Parti de Saint-Cloud le 15 avril 1813, il est, le Ier mai, dans la plaine de Lutzen. La conception est invariable, toujours forte. C’est celle d’Iéna, le coup de tonnerre qui déconcertera l’ennemi. Seules les ressources ne sont plus les mêmes, de trop jeunes soldats, une levée hâtive auprès de vétérans fatigués, peu de cavalerie, une armée improvisée, l’avant‑-